YERALTI ISTANBUL ou les « sales gosses » de la culture contemporaine – Le Petit Journal/Audray Cremer

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« Le photographe Philippe Dupuich et l’écrivain Timour Muhidine poursuivent leur collaboration pour une quatrième publication avec « Yeralti Istanbul », ouvrage dans lequel ils présentent la culture « Underground » de la ville. Mise en avant des artistes marginaux, de leurs créations, leur interprétation… Lepetitjournal.com a été à la rencontre des deux auteurs, pour en savoir plus sur ce courant culturel et cette littérature alternative » rapporte Audray Cremer dans Le Petit Journal du 13 juillet 2022.

« Des artistes « maudits » continuent de résister à la normalisation et à l’industrialisation de la vie culturelle ».
Audrey Cremer pour lepetitjournal.com : Que signifie « YERALTI » ? Comment décririez-vous ce courant ? 

Philippe Dupuich et Timour Muhidine : YERALTI, c’est la traduction turque du terme Underground, qui caractérise la contre-culture, la culture des marges des grandes villes du monde anglo-saxon (San Francisco, New-York, Londres…) et par glissement, les autres villes où le mainstream culturel n’a pas « avalé » toute forme d’expression culturelle. Istanbul en fait partie et c’est sans conteste la ville du Moyen-Orient où tout reste possible. La situation politique est chaotique, la censure s’applique parfois mais au bout du compte, on trouve ici une production parallèle d’une richesse inouïe. Ce genre de villes où des artistes « maudits » (poètes, romanciers, musiciens, vidéastes, etc.) continuent de résister à la normalisation et à l’industrialisation de la vie culturelle.

« Depuis 2013, nous avons commencé à faire des incursions dans le monde de la culture alternative ».


Comment est née l’idée de ce livre ? Pourquoi mettre en avant l’Istanbul Underground au travers d’un livre qui mêle photos et textes ?

Il y a beaucoup de travaux photographiques sur Istanbul, réalisés par des artistes turcs ou étrangers, mais les clichés ont la vie dure. Début 2013, en parallèle avec des workshops à l’Orient-Institut de Cihangir (où l’on cherchait à aborder des thématiques transversales de l’Underground), nous avons commencé à faire des incursions dans le monde de la culture alternative. Ensemble, nous aurons effectué plus de dix séjours pour rencontrer les écrivains : il nous a semblé plus efficace de se concentrer sur les écrivains que sur l’ensemble de la production artistique… L’idée était aussi de composer une anthologie des textes traduits du turc pour « montrer » ce qu’écrivaient ces poètes et romanciers… Et puis, nous avons pu, avec le soutien de l’Institut français de Turquie à Istanbul, organiser la première exposition de photos en mai 2017, un vrai « événement » qui a rassemblé la plupart des auteurs (dont Asli Erdogan, Hakan Günday, Altay Öktem, Hüseyin Avni Dede, etc.), dans un contexte encore tendu. Le 15 juillet 2016 n’était pas très loin !

Donc, dès le début, photos et textes se devaient d’être associés…

« Il doit rester dans l’ombre et ne produit que rarement des œuvres très visibles car il ne se veut pas commercial ».


Dans quelle mesure ce courant est-il connu des Stambouliotes ?

Pour nous, il reste peu connu : c’est un peu son ADN, il doit rester dans l’ombre et ne produit que rarement des œuvres très visibles car il ne se veut pas commercial et heurte les bien-pensants. On pourrait dire que la formule « Sex, Drugs and Rock’n roll » reste applicable à ces auteurs, musiciens, plasticiens, grapheurs… De temps en temps, surgit un romancier comme Hakan Günday ou un illustrateur/peintre comme Bahadır Baruter et le côté excessif et déjanté de l’œuvre trouve un public enthousiaste…

Depuis 2013, beaucoup d’artistes et de créateurs ont préféré la clandestinité

Quels sont les lieux à Istanbul où la culture du YERALTI est la plus présente ?

Eh bien, ce fut longtemps Beyoğlu puis Kadiköy en raison des lieux de loisir, des cafés, des lieux d’exposition parfois improvisés… la vie de la rue tout simplement. Mais depuis 2013, beaucoup d’artistes et de créateurs ont préféré la clandestinité et se replient sur un petit coin de Tarlabaşı, d’Eyüp ou de Fenerbahçe. Il faudrait aussi suivre l’itinéraire des murs tagués et l’on aurait une vraie géographie de l’Underground dans la ville. Un mélange d’esthétique, d’audace, de contestation humoristique et d’affranchissement des règles imposées par l’État. Les artistes Underground sont les « sales gosses » de la culture contemporaine !

Le contact n’a pas toujours été facile à établir

Comment les écrivains ont-ils reçu l’idée de ce livre ? Ont-ils facilement accepté d’y participer et d’y figurer ?

Ils ont aimé l’idée d’un « portrait de groupe » pour des écrivains qui ne se connaissent pas toujours. La variété et le côté hétéroclite du projet a plu – et ils se sont sans doute dit que cela les ferait un peu connaître… Beaucoup sont méconnus ou franchement inconnus. Il faut éplucher les fanzines ou les magazines culturels alternatifs comme Ot ou KafkaOkur pour les dénicher.

En tout cas, nous avons été bien accueillis, même si le contact n’a pas toujours été facile à établir : avec Küçük Iskender, cela a pris deux ans, avec d’autres, ça n’a pas abouti… C’est aussi ce qui a rendu l’enquête/reportage passionnante. L’Underground, c’est un domaine caché et réservé aux aficionados !

Photos : Philippe Dupuich

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Le Petit Journal, 13 juillet 2022, Alfred Cremer

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