Le président turc Recep Tayyip Erdogan est en visite officielle en Irak ce lundi 22 avril. Une première depuis 13 ans. Il souhaite renforcer ses liens avec le pays voisin. Quels accords stratégiques seront conclus entre les deux pays ? Analyse de Didier Billion, directeur adjoint de l’Iris, spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient.
RFI, le 22 avril 2024, par Nicolas Ginestière
RFI : En mars dernier, l’Irak a déclaré le PKK, Parti des travailleurs kurdes, « organisation terroriste ». Une nouvelle saluée par la Turquie, qui annonce de grandes opérations militaires dans le nord irakien cet été. On s’attend, ce lundi 22 avril, à la signature d’accords entre Bagdad et Ankara. Peut-on imaginer que le sujet fera partie de ces discussions ?
Didier Billion : Il est clair qu’il y a un sujet récurrent entre Ankara et Bagdad, c’est la question kurde. Les Kurdes d’Irak jouissent d’une autonomie institutionnelle puisque nous sommes dans un État fédéral. Mais à l’intérieur de cette partie kurde, il y a des bases du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, qui est considéré comme l’ennemi numéro un par les autorités turques. Et régulièrement, il y a des opérations militaires de la part de la Turquie contre les bases du PKK. Évidemment, à chaque fois, Bagdad dénonce ce qu’elle considère comme une violation de ses frontières.
Donc dans ces accords stratégiques, si accord il y a, il y aura probablement mention de cette question du PKK – je parle au conditionnel, restons prudents –, on peut imaginer qu’il y aura l’aval des autorités de Bagdad pour une intervention militaire turque l’été prochain.
Deux oléoducs reliant l’Irak à la Turquie sont fermés. Le second a été arrêté l’année dernière, mais Ankara veut diversifier ses fournisseurs. Doit-on s’attendre à des discussions pour la reprise des flux ?
Il y a de la part de la Turquie un besoin vital en termes d’approvisionnement énergétique. La Turquie a un problème récurrent, c’est qu’elle ne bénéficie pas sur son sol de ressources en hydrocarbures, donc elle est obligée de recourir à des importations et dans ce cadre, elle cherche surtout à diversifier ses importations.
Elle a bien compris, notamment avec la guerre entre la Russie et l’Ukraine qui il y a eu un danger de rupture d’approvisionnement. Et il est clair que l’Irak est potentiellement un fournisseur de pétrole très important en outre et évidemment de jouir d’une proximité géographique. Donc cela abaisse les coûts de transport et donc c’est très probable que ce sera un des dossiers qui va être abordé entre les deux pays. Il y a un besoin clair de la part de la Turquie. Il y a aussi un besoin pour l’Irak de vendre son pétrole.
Sur ce dossier, il y aura je crois un accord qui sera trouvé et je pense que les deux parties ont un intérêt commun.
Il demeure un autre sujet de tension entre les deux pays : c’est la mainmise de la Turquie sur le débit du fleuve Tigre. Les sécheresses connues par l’Irak et la question climatique risquent d’aggraver ces tensions. Un accord pourra-t-il être trouvé entre les deux voisins ?
La Turquie est considérée comme un véritable château d’eau dans la région et elle jouit toujours de réserves d’eau tout à fait considérables. À contrario, l’Irak, comme plusieurs autres pays du Moyen-Orient, sont en situation où vont rapidement devenir en situation de stress hydrique. Il y a toujours une récrimination irakienne à l’encontre de la Turquie sur le partage des eaux, notamment de ce grand fleuve Tigre puisque les Turcs ont construit de grands barrages qui mécaniquement réduisent le débit en eau qui parvient en Irak. Donc là-dessus, je pense que la négociation risque d’être âpre.
Sera-t-elle conclue au cours de ce voyage ? Probablement pas. Si au niveau économique, des sujets d’intérêt commun pourront assez facilement être conclus, cela risque d’être un peu plus compliqué sur cette question de l’eau, dont chacun comprend que cela devient un enjeu de plus en plus central pour les pays du Moyen-Orient.