« Les ONG s’inquiètent du blocage du point de passage de Bab al-Hawa, seul moyen d’acheminer de l’aide dans le nord-ouest du pays sans passer par les zones contrôlées par Damas, après un énième veto russe à l’ONU sur la guerre en Syrie » rapporte Léa Masseguin dans Libération du 11 juillet 2022.
Après avoir soutenu sans relâche son allié syrien dans une sanglante guerre civile et déclenché l’invasion de son voisin ukrainien, la Russie vient d’ouvrir un nouveau front : celui de la faim. Dans le nord-ouest de la Syrie, au moins quatre millions de personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants, pourraient désormais être privées d’aide humanitaire. Malgré les mises en garde des diplomates occidentaux et des ONG, l’autorisation de passage de la dernière route d’aide onusienne vers la Syrie a expiré dimanche à minuit en raison d’un énième veto russe au Conseil de sécurité de l’ONU – le 17e depuis le début de la guerre, en 2011.
Ce mécanisme permettait depuis huit ans la livraison de nourriture et de médicaments à plus de 2,4 millions d’individus dans des zones aux mains des rebelles, via le point de passage de Bab al-Hawa, à la frontière syro-turque. L’an dernier, la Russie avait déjà menacé de bloquer le renouvellement du mandat, avant de finalement le voter.
«Bouée de sauvetage»
Le blocage de ce point de passage vital a immédiatement provoqué l’inquiétude des organisations humanitaires. Dans un communiqué conjoint, une trentaine d’ONG ont mis en garde contre une «catastrophe» en cas de fermeture de cette «bouée de sauvetage [qui] causerait des souffrances inexcusables». Pour la seule année 2021, cette aide transfrontalière a permis de fournir de la nourriture à près de deux millions de personnes et de scolariser 78 000 enfants. Plus de 99 % du matériel et des médicaments de Médecins sans frontières (MSF) ont également été acheminés dans le nord-ouest du pays par Bab al-Hawa. «Que doit faire une mère syrienne si elle se réveille le 11 juillet pour découvrir que l’aide alimentaire pour elle et ses enfants sera coupée ? Comment une famille de six personnes survivra-t-elle à l’hiver prochain sans chauffage ni matériaux de construction pour réparer leurs tentes inondées ?» s’interroge Sofia Sprechmann Sineiro, secrétaire générale de Care International.
Pour les signataires, la prolongation du couloir humanitaire «pour une période d’un an», réclamée dans le projet de résolution porté au Conseil de sécurité par l’Irlande et la Norvège, était «le strict minimum». Une durée jugée trop longue par Moscou, dont le plan alternatif proposait une extension limitée à six mois, éventuellement reconductible. Le contrôle de l’aide aurait ensuite pu être donné au gouvernement de Bachar al-Assad.
Pire sécheresse en 70 ans
De son côté, Paris a dénoncé un texte russe ne tenant «pas compte des besoins humanitaires, qui n’ont jamais été aussi élevés après onze ans de conflit», peut-on lire dans un communiqué, dans un contexte d’intenses tensions diplomatiques entre Russes et Occidentaux depuis le début de l’invasion de l’Ukraine. En Syrie, les prix des denrées alimentaires de base ont en effet augmenté jusqu’à 86 % au cours des dix-huit derniers mois, tandis que la pire sécheresse à laquelle le pays est confronté en 70 ans continue d’aggraver l’insécurité alimentaire. «La communauté humanitaire est unanime : un renouvellement pour six mois serait insuffisant [et] ne permettrait pas une bonne planification des opérations»,ajoute le texte.
Quelques heures après cette annonce, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a exhorté son homologue russe Vladimir Poutine, lors d’un entretien téléphonique, à donner son aval à la prolongation du mécanisme. Selon des sources diplomatiques citées par l’AFP, les dix membres non permanents du Conseil de sécurité ont proposé une extension de neuf mois, refusée par Moscou. «Le Conseil doit se réunir à nouveau et accepter de réautoriser le passage de Bab al-Hawa, alerte Kathryn Achilles, directrice du plaidoyer à Save the Children, contactée par Libération. Au milieu de la pire crise alimentaire mondiale de l’histoire, tout autre résultat serait catastrophique.»
Libération, 11 juillet 2022, Léa Masseguin, Photo/Mahmoud Hassano/Reuters