Le 7 décembre dernier, le président Erdoğan a effectué un déplacement historique en Grèce pour « ouvrir un nouveau chapitre » dans les relations entre les deux Etats. Retour sur les principaux points de discorde entre ces deux rivaux historiques, toutefois partenaires au sein de l’OTAN.
Le 10 décembre 2023, Pauline Sorain Le Petit Journal.
Des conflits d’intérêts en Méditerranée orientale
La présence conséquente de réserves de gaz naturel en Méditerranée orientale engendre de fortes tensions géopolitiques au sujet de la délimitation des frontières maritimes, dans un contexte où les ressources énergétiques fossiles tendent à se raréfier.
Aussi, la convention des Nations Unies de Montego Bay, signée en 1982 et entrée en vigueur le 16 novembre 1994, après ratification de 60 États (ils sont 157 en 2022), a cherché à organiser et réguler le droit de la mer, en définissant notamment des zones économiques exclusives (ZEE). Toutefois, l’appétit énergétique des acteurs régionaux se heurte à une réalité géographique complexe.
Un problème majeur s’ajoute à cela : la Turquie n’a pas ratifié cette convention et les gisements qu’elle convoite sont situés loin de ses eaux territoriales. Parallèlement, sa consommation de gaz est grandissante et elle reste tributaire de la Russie pour ses approvisionnements (notamment via le gazoduc TurkStream depuis 2020). Aussi, depuis 2019, la Turquie passe à l’offensive et fait cavalier seul, après avoir longtemps été tenue à l’écart des négociations régionales. Cela s’est illustré, en 2020, par l’envoi d’un navire de recherche sismique dans une zone comprise dans la zone économique exclusive de la Grèce. Par la suite, 18 bâtiments de guerre avaient protégé un navire d’exploration gazière turc au large des côtes grecques. La Turquie a multiplié les incursions avec notamment l’annonce de l’extension des zones de forage au large de Chypre, en dépit du droit international.
Malgré des volontés conjointes de coopération, les ambitions antagonistes et la proximité géographique entre les deux Etats ont ravivé de vieux dossiers conflictuels (notamment sur la question chypriote).
Des différends sur la question migratoire
Depuis de nombreuses années, la Grèce est submergée par une vague migratoire sans précédent, notamment du fait de la guerre en Syrie. La Grèce accuse régulièrement la Turquie de ne pas contrôler les départs depuis ses côtes, en violation de l’accord migratoire conclu en 2016 avec l’Union européenne.
Vers un rapprochement historique entre les deux pays ?
Recep Tayyip Erdoğan n’était pas venue en Grèce depuis 6 ans. Cette visite historique du président turc à Athènes est-elle annonciatrice d’un réchauffement diplomatique entre les deux Etats? Le président Erdoğan et le premier ministre Kyriakos ont en tous cas affiché le souhait d’engager une nouvelle feuille de route pour mener un véritable travail collaboratif sur les sujets épineux comme l’émigration.
L’ouverture du dialogue porte également sur la délimitation des frontières en mer Egée. « La mer Egée sera une mer de paix », a déclaré le président Erdoğan, « La Turquie et la Grèce veulent être un exemple pour le monde entier » […] Il n’y a pas de problème entre nous qui ne puis être résolu » a-t-il ajouté. « Si les différends sont abordés par le dialogue et que l’on trouve un terrain d’entente, c’est pour le bénéfice de tous », a-t-il insisté.
La question chypriote demeure cependant un point de tension. Le président Erdoğan se prononce en effet toujours en faveur d’une solution à deux Etats. Quant au premier ministre Kyriakos, ce dernier souligne de son côté la nécessité d’une réunification de l’île sous l’égide de l’ONU. Toutefois, ce différend a été mis provisoirement de côté afin d’avancer sur d’autres sujets, notamment la mise en place d’un agenda consensuel d’accords bilatéraux (économie, tourisme, migrations, santé, etc.).
Ces avancées s’inscrivent dans une période de détente impulsée à la suite des séismes qui ont touché le sud-est de la Turquie en février dernier. La Grèce ayant été un des premiers pays à avoir répondu présent dans les zones sinistrées.