Les Echos, le 30 janvier 2025
En Turquie, la répression du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan s’accentue à nouveau. Profitant, semble-t-il, d’un désintérêt de la communauté internationale, tournée vers la Syrie et le théâtre israélo-palestinien, le pouvoir turc a multiplié ces dernières semaines les coups de filet et les mesures d’intimidation contre les cercles d’opposition.
Le 13 janvier, les autorités ont arrêté Riza Akpolat, le maire du district de Besiktas à Istanbul, un important bastion de l’opposition laïque et kémaliste. Issu du Parti républicain du peuple (CHP), la principale force d’opposition, l’édile est accusé par les procureurs d’avoir truqué des appels d’offres publics, ce que le parti conteste.
A peine une semaine plus tard, c’est Cem Aydin, le chef de la branche jeunesse du CHP qui est, à son tour, placé en détention, avant d’être relâché, pour avoir critiqué la décision des procureurs concernant le maire de Besiktas. Le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, rattaché au même parti, s’est quant à lui attiré une nouvelle enquête judiciaire pour avoir critiqué cette détention.
« Insulte contre le président »
Dans la foulée, le leader d’extrême droite du Parti de la victoire (Zafer), Umit Ozdag, a lui aussi été arrêté le 21 janvier et inquiété par la justice pour « insulte contre le président Erdogan » et « incitation à la haine ». Figure xénophobe, Ozdag a joué un rôle important lors de la présidentielle de 2023, en contribuant à faire du renvoi des réfugiés syriens une question de premier plan.
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Après la classe politique, la répression s’est cette semaine élargie au monde culturel et médiatique. A la stupéfaction d’une partie de la société turque, les autorités ont arrêté lundi soir Ayse Barim, une agente de célèbres acteurs de séries télévisées turques. Elle est accusée d’avoir « encouragé » des acteurs à prendre part au mouvement de contestation de Gezi en… 2013.
« Les artistes ont une grande influence en Turquie et […] sont en majorité dissidents. Il est clair que le gouvernement veut casser cela », a déclaré à l’AFP l’acteur Mehmet Esen, ex-président du syndicat turc des travailleurs du cinéma. Le même jour, une femme qui a osé critiquer la corruption du régime d’Erdogan et la crise économique pendant un micro-trottoir donné à une chaîne YouTube a elle aussi été placée en détention pour « insulte contre le président ».
« Nous entrons dans une phase autoritaire »
Ces derniers jours enfin, cinq journalistes de la chaîne d’opposition Halk TV, considérée comme proche du Parti républicain du peuple, ont été arrêtés pour avoir diffusé une interview d’un expert judiciaire s’exprimant au sujet de l’enquête visant le maire d’Istanbul. Quatre de ces journalistes ont été libérés sous contrôle judiciaire, mais pas le rédacteur en chef de la chaîne.
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Dans le même temps, le pouvoir turc cherche toutefois à relancer les pourparlers de paix avec le mouvement kurde. Il a permis à deux reprises à des parlementaires du parti pro-kurde DEM de rendre visite au leader du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Ocalan, emprisonné sur l’île-prison d’Imrali depuis 1999, une première fois le 28 décembre et une deuxième le 22 janvier.
En octobre dernier, le leader du parti ultranationaliste MHP, Devlet Bahçeli, en coalition avec l’AKP d’Erdogan, a appelé le PKK à rendre les armes en échange d’une libération d’Ocalan. Ainsi, comme l’a résumé le politiste Berk Esen sur X lundi soir : « Nous entrons dans une phase autoritaire que nous n’avons jamais connue sous une période de gouvernement élu. Tandis que le mouvement kurde est neutralisé grâce aux négociations avec Ocalan, une politique répressive implacable est menée à l’encontre du reste de l’opposition. »
Killian Cogan (Correspondant à Istanbul)