En vigueur depuis le 1ᵉʳ juin, une loi interdit de “promouvoir, renforcer ou soutenir” une organisation “terroriste”. Un texte grâce auquel la Suède espère pouvoir convaincre la Turquie de la laisser entrer dans l’Otan. Mais les critiques sont vives dans le royaume, notamment chez les réfugiés kurdes, dont certains ont manifesté dimanche 4 juin. Par Courrier International du 5 juin 2023.
Les autorités suédoises ont-elles fait trop de concessions dans l’espoir d’obtenir la levée du veto turc à l’adhésion du royaume à l’Otan ? La réponse était clairement oui, selon les quelques centaines de manifestants qui ont défilé le dimanche 4 juin à Stockholm pour dénoncer la loi “antiterroriste” entrée en vigueur quatre jours plus tôt dans le royaume. D’après un des groupes prokurdes ayant appelé à manifester, cité par le quotidien conservateur Svenska Dagbladet, il faut “résister aux restrictions de la démocratie ordonnées par un despote à Ankara”.
Le gouvernement suédois a beau affirmer que la nouvelle loi ne vise pas spécifiquement les organisations kurdes considérées comme “terroristes” par le régime turc, la plupart des éditorialistes du pays scandinave font le lien entre l’adoption à la hâte de ce texte et le dossier compliqué de l’adhésion à l’Otan. De fait, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, tout juste réélu, bloque l’entrée du royaume dans l’organisation militaire au motif principal qu’il est trop laxiste vis-à-vis des “terroristes” du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui mène une guérilla sur le sol turc depuis 1984.
Avec la nouvelle loi suédoise, il sera interdit, entre autres, de “promouvoir, renforcer ou soutenir” une organisation “terroriste”. Financer une telle organisation sera également considéré comme une infraction pénale, tout comme le fait de “s’occuper du matériel, organiser des camps, aménager des salles de réunion, mettre sur pied des activités, cuisiner, assurer le transport” en faveur d’une telle organisation, résumait le quotidien Dagens Nyheter en mars, au plus fort du (bref) débat pour ou contre l’adoption de ce texte.
Le Conseil juridique (Lagraadet), instance qui se prononce sur la validité juridique des propositions législatives à la demande du gouvernement, avait alors estimé la proposition de loi en question si “floue et flexible” qu’elle risquerait d’“être utilisée contre des mouvements de libération ou des journalistes”, soulignait alors ce même journal, de tendance libérale. Mais “pour le gouvernement, le choix entre les avertissements du Conseil juridique et l’adhésion à l’Otan est facile à faire”, regrettait-il, tout en comprenant que les autorités suédoises souhaitent faire entrer leur pays au plus vite dans l’Alliance atlantique en cette période de fortes tensions avec la Russie.
Pour Aftonbladet, journal proche de l’opposition sociale-démocrate, le principal problème avec cette loi, c’est que “le groupe terroriste de l’un est le mouvement de libération de l’autre, et que les classifications internationales qui déterminent lesquels sont intolérables ne sont pas toujours d’une clarté miraculeuse”. Et son éditorialiste de penser qu’avec ce texte de loi critiqué, il aurait été répréhensible de soutenir l’African National Congress (ANC) de Nelson Mandela dans sa lutte contre le régime sud-africain à l’époque de l’apartheid.
Suffisant pour briser le veto d’Ankara ?
“Bien sûr, plaidait de son côté le quotidien de tendance libérale Expressen, on peut s’interroger sur les risques théoriques d’une nouvelle extension des infractions terroristes, à une époque où les États autoritaires aiment à qualifier leurs opposants politiques de terroristes. Mais dans le monde réel, de nombreux pays occidentaux ont introduit ce type de législation, comme la Norvège, le Danemark, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France.” Pour ce titre, la Suède a “trop longtemps fermé les yeux sur l’extrémisme sanglant”.
L’entrée en vigueur de cette loi “antiterroriste” suffira-t-elle à lever le veto turc à l’adhésion de la Suède à l’Otan ? Le 30 mai, Fahrettin Altun, directeur de la communication du président Erdogan, avait, dans un tweet, “sincèrement espéré” que ce texte serait “correctement appliqué”. Et appelé les autorités suédoises à “empêcher les membres du PKK de manifester le 4 juin [à Stockholm] si elles veulent vraiment répondre aux préoccupations de la Turquie”.
Dimanche, la police suédoise n’a procédé à aucune arrestation de manifestants. “Le PKK figure sur la liste des organisations terroristes de l’UE et de la Suède, mais le fait d’arborer le symbole de l’organisation n’est pas considéré comme une infraction au regard de la législation antiterroriste”, a commenté son porte-parole, Mats Eriksson, cité par Dagens Nyheter.
Dans la foulée, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a annoncé la tenue, le 12 juin, d’une nouvelle réunion entre la Turquie et la Suède en vue de trouver une issue au véto d’Ankara, rapporte ce même journal dans un autre article. Interrogé sur la manifestation de Stockholm, le Norvégien a défendu le principe de la liberté d’expression, tout en exprimant sa “compréhension à l’égard de la colère turque” provoquée par des événements de ce genre. D’autant que, selon lui, les organisateurs de telles manifestations “veulent empêcher la Suède de devenir membre de l’Otan et bloquer la coopération avec la Turquie”.