Le président turc n’a pas été réélu dès le premier tour, dimanche dernier. Mais sa victoire dans deux semaines n’en serait que plus belle. Par Guillaume Perrier dans Le Point du 16 mai 2023.
Àpremière vue, le score de la présidentielle turque peut être interprété comme un recul du soutien au président sortant. Avec 49,5 % des suffrages, Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans, est poussé à disputer un second tour, le 28 mai.
C’est une première et certains peuvent y voir une érosion de sa popularité. « Erdogan a perdu »,titrait même lundi le quotidien turc Cumhuriyet, journal historiquement lié au CHP, le principal parti d’opposition. En 2014 et en 2018, il avait été élu sans grand suspense dès le premier tour, avec des scores de 51,79 % puis 52,59 %. La chute est toute relative.
En face, contrairement aux précédents scrutins présidentiels, durant lesquels l’opposition avait envoyé des candidats de second rang, Erdogan a, cette fois, dû affronter le dirigeant du CHP, Kemal Kiliçdaroglu, candidat d’un front quasiment uni autour de l’« anti-erdoganisme ». Après une campagne qui a soulevé des espoirs de changement, dans une Turquie harassée par la crise économique et plus polarisée que jamais, ce dernier est parvenu à rassembler 45 % des voix, ce que l’opposition n’avait jamais fait jusqu’alors. Mais Erdogan a plus que limité la casse. Il obtient 2,5 millions de voix de plus que son adversaire et peut envisager sereinement le second tour.
Même si les partisans d’une alternance veulent encore y croire, la marge reste nette en faveur du « reis ». Pour atteindre 50 % et être réélu jusqu’en 2028, Erdogan n’aura besoin que de quelques centaines de milliers de voix supplémentaires si les Turcs se rendent aux urnes dans les mêmes proportions le 28 mai. Kemal Kiliçdaroglu pourrait, en revanche, avoir atteint un plafond de verre. Le troisième homme de cette élection présidentielle, Sinan Ogan, candidat ultranationaliste dissident du MHP qui a obtenu 5,1 % des voix, ne lui apportera son soutien qu’au prix d’un virage radicalement nationaliste, ce qui lui coûtera alors le soutien de la gauche prokurde. Le grand écart entre les deux est intenable. Le report de l’électorat de Sinan Ogan devrait plutôt favoriser Erdogan, qui n’a besoin que d’un quart de cette réserve pour passer.
Un autre facteur joue clairement en faveur du sortant. Le résultat des élections législatives qui se sont tenues le 14 mai donne une majorité relative à la coalition islamo-nationaliste AKP-MHP et 100 sièges de plus que l’opposition. La dynamique est pour Erdogan. Et les électeurs turcs seront d’autant plus enclins à le soutenir au second tour qu’ils aspirent à une période de stabilité. Une défaite de l’actuel président semble ici bien improbable.
Un premier tour célébré comme une victoire
D’ailleurs, c’est bien comme une victoire qu’Erdogan a célébré ce premier tour depuis le balcon du siège de l’AKP (Parti de la justice et du développement) à Ankara, où il est apparu tard dans la nuit. « Notre pays a réussi une nouvelle célébration de la démocratie » s’est-il réjoui. Une victoire dès le premier tour, avec un peu plus de 50 % des voix, n’aurait certainement pas eu le même impact et aurait déclenché soupçons de fraude et contestations de la part de l’opposition. Avec ce score plus serré, Erdogan peut voir sa légitimité démocratique renforcée.
Un nouveau sacre semble donc inévitable pour Erdogan le 28 mai. Le lendemain, jour anniversaire de la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, le sultan du XXIe siècle pourrait célébrer une nouvelle conquête.