« Une affaire de mariage forcé d’une enfant de 6 ans, dénoncée par l’opposition, révèle l’influence croissante de nouvelles confréries musulmanes au sein des institutions étatiques turques, y compris dans le système judiciaire, depuis que le prédicateur Fethullah Gülen et sa confrérie sont tombés en disgrâce » rapporte Courrier International du 15 décembre 2022.
L’opinion publique turque est révoltée par une sordide affaire de mariage forcé et de viols perpétrés sur une enfant qui prend un tour très politique. C’est le quotidien Birgün qui, au début du mois de décembre, a révélé l’existence de la plainte d’une jeune femme âgée de 24 ans, fille d’un prêcheur de l’influente confrérie religieuse Ismailaga qui l’avait mariée à l’âge de 6 ans à un de ses disciples âgé de 29 ans.
Le journal souligne l’impunité qui existe autour de ce genre de crimes et l’influence dont disposent les confréries religieuses turques. Ainsi, en 2012, le cas de l’adolescente, alors âgée de 14 ans, avait fait l’objet d’un signalement à la justice à la suite d’une visite médicale.
“La famille s’est contentée de fournir de faux échantillons pour les tests osseux, le procureur aurait dû demander une copie du certificat de naissance, mais, mystérieusement, il ne l’a pas fait et a choisi de ne pas poursuivre les investigations”, relève Birgün. Le journal s’interroge : “Qui a intercédé pour fermer le dossier et abandonner cet enfant à son violeur ?”
Une seconde plainte, déposée cette fois par la jeune femme et accompagnée d’enregistrement des aveux de son violeur et mari, a été déposée en 2020. Mais les deux demandes du procureur de placement du père et du mari en détention provisoire ont été rejetées par la justice. Un procès devrait finalement commencer en mai 2023.
Réactions de l’opposition
La mairie d’Istanbul, aux mains de l’opposition, a réagi en fermant administrativement les locaux de l’association stambouliote du prêcheur concerné, dont une partie des bâtiments avaient été construits sans permis, avec l’assentiment tacite de la précédente administration municipale de l’AKP (le parti islamo-nationaliste au pouvoir).
Kemal Kiliçdaroglu, le chef du principal parti d’opposition (le CHP) et candidat potentiel à l’élection présidentielle, a organisé une marche avec des députés de l’opposition jusque devant le ministère de la Justice, rapporte le quotidien kémaliste Sözcü.
“L’affaire est désormais entre les mains de la justice”, a déclaré le président Erdogan, dénonçant une récupération politique et affichant son refus d’abaisser à 13 ans l’âge du mariage, demande pourtant régulièrement exprimée par des figures de son parti et des personnalités qui en sont proches. L’âge légal pour le mariage est fixé à 18 ans en Turquie, mais des unions dès 16 ans sont autorisées selon certaines circonstances.
Combler le vide laissé par Fethullah Gülen
La version turque de la radio internationale allemande Deutsche Welle(interdite d’accès en Turquie depuis l’été mais accessible aux lecteurs turcs par proxy ou VPN) souligne ainsi l’influence qu’a pu acquérir la confrérie Menzil dans la justice et la santé, deux ministères où elle a pu faire nommer et promouvoir ses disciples. La confrérie Ismailaga a, elle, plutôt investi le secteur de l’éducation, tandis que plusieurs groupes religieux se disputent les places au sein de l’appareil de sécurité, notamment les forces spéciales de la gendarmerie et de la police.
L’été dernier, le trucage du KPSS, l’examen d’entrée dans la fonction publique, dont les questions avaient été fournies à l’avance à certains des 1,2 million de candidats, avait révélé au grand jour, outre la corruption qui sévit dans ce secteur, les luttes intestines d’influence entre les différentes confréries.
Un article du média en ligne T24 racontait ainsi comment deux confréries religieuses différentes s’accusaient mutuellement d’être à l’origine des fuites, tandis que le président de l’organisme d’État chargé d’organiser les examens, un proche du MHP (l’extrême droite alliée du président Erdogan), avait été démis de ses fonctions pour être remplacé… par un proche de la confrérie Ismailaga.
Courrier International, 15 décembre 2022, Photo/Shutterstock/Orhan Cam