Les ministres de la défense turque, bulgare et roumain ont créé une coalition pour éliminer les mines flottantes entravant la navigation
La décision prise par la Turquie, la Bulgarie et la Roumanie ne devrait pas ravir Vladimir Poutine. Jeudi 11 janvier, les trois pays, membres de l’Alliance atlantique (OTAN), ont annoncé la création d’une coalition maritime pour éliminer les mines flottantes dérivant en mer Noire. Une initiative destinée à sécuriser le transport maritime dans la région, notamment les exportations ukrainiennes de céréales le long des côtes roumaines et bulgares, que la Russie tente d’entraver depuis le lancement de son « opération militaire spéciale » il y a près de deux ans.
« Nous avons décidé conjointement de signer un protocole entre nos trois pays, afin de lutter plus efficacement contre le danger des mines en mer Noire, en renforçant notre coopération et notre coordination existantes », a expliqué le ministre de la défense turc, Yasar Güler, lors de la signature de l’accord à Istanbul, en présence de son homologue roumain, Angel Tilvar, et du vice-ministre de la défense bulgare, Atanas Zaprianov. Baptisée « MCM Black Sea » (Mine Countermeasures Naval Group in the Black Sea ; « groupe naval contre les mines en mer Noire »), cette task force sera dirigée à tour de rôle par l’un des trois pays, pour une durée de six mois.
Depuis le début du conflit, des milliers de mines dérivantes – qui se déplacent au gré des courants – et de mines à orin – lestées par un câble pour les maintenir à la surface ou entre deux eaux – ont été immergées par la Russie et l’Ukraine.
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Avec le temps et les tempêtes, nombre d’entre elles se sont déplacées, heurtant à plusieurs reprises des navires commerciaux. Le27 décembre 2023, un cargo grec battant pavillon panaméen, qui se dirigeait vers un port ukrainien pour y charger des céréales, a été touché dans le golfe du Danube, deux marins ont été blessés.
Des exportations ukrainiennes plus difficiles
Si elle n’a pas interrompu le trafic commercial en mer Noire, cette menace rend plus difficiles les exportations ukrainiennes. Depuis le 17 juillet 2023 et la non-reconduction par Moscou de l’accord qui permettait à Kiev de faire sortir du pays une partie de ses récoltes, des navires brisent régulièrement le blocus maritime imposé par la Russie pour rejoindre les ports d’Odessa, de Tchornomorsk ou de Pivdenny.
Mais ils sont encore trop peu nombreux, estiment les autorités ukrainiennes : 10 millions de tonnes de produits agricoles ont été exportées entre août et décembre 2023, contre 33 millions de tonnes entre août 2022 et juillet 2023. Faire exploser (« pétarder », disent les militaires)les mines encombrant les voies maritimes permettrait d’augmenter le nombre de vraquiers desservant les ports ukrainiens, espère-t-on à Kiev.
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Pour le moment, seuls les navires des trois pays riverains de la mer Noire participeront aux opérations de déminage, expliquent les signataires de l’accord MCM Black Sea, qui assurent n’avoir pas d’intentions hostiles vis-à-vis de la Russie.
La Turquie, qui dispose d’une flotte de quinze bâtiments de lutte contre les mines navales, sera principalement à la manœuvre, la Bulgarie et la Roumanie ne disposant pas d’un tel arsenal. Le Royaume-Uni a néanmoins cédé à Bucarest, en décembre 2023, un de ses dragueurs de mines, l’ancien HMS Blyth de la Royal Navy. Un autre bâtiment britannique doit être livré à la Roumanie dans les prochains mois.
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« Cette initiative ne sera ouverte qu’aux navires des trois pays alliés côtiers », a confirmé M. Güler, expliquant qu’il n’était pas question que d’autres membres de l’OTAN y prennent part. Depuis le 28 février 2022, la Turquie interdit aux bâtiments militaires l’accès aux détroits des Dardanelles et du Bosphore, qui relient la mer Egée à la mer Noire. Signée en 1936, la convention de Montreux octroie à Ankara le contrôle de ces détroits et l’autorise à les fermer en cas de conflit, pour éviter une escalade militaire. La Turquie, qui considère la mer Noire comme son pré carré, veille jalousement sur cette convention et n’entend pas laisser d’autres pays, en particulier les Etats-Unis, s’immiscer dans ses affaires régionales.
« Eviter les provocations et les escalades »
L’accord prévoit néanmoins la possibilité pour des pays non riverains de la mer Noire de rejoindre la coalition, à une date non déterminée. « Les partenaires littoraux de l’OTAN, ainsi que les groupes navals permanents de l’OTAN et les alliés non littoraux pourront participer aux activités [de la task force] », a ainsi précisé le ministère de la défense roumain dans un communiqué. « Les contributions d’autres acteurs dans certains domaines seront possibles au fil du temps, lorsque les conditions seront remplies », a concédé M. Güler, renvoyant toutefois l’hypothèse à la fin des hostilités.
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L’OTAN dispose déjà dans la région d’une task force de lutte contre les mines navales, appelée « Standing NATO Mine Countermeasures Group Two » (SNMCMG2). Créée en 1999 pour traquer et détruire les mines immergées en mer Adriatique, lors de la guerre en Yougoslavie, cette flotte était, à l’origine, dotée de onze navires, fournis par différents membres de l’Alliance. La SNMCMG2, qui devait passer sous commandement grec le 12 janvier, après avoir été dirigée par l’Italie, sera composée, pour les six prochains mois, du dragueur de mines italien Viareggio et du bâtiment de soutien grec Iraklis. D’autres navires alliés « rejoindront [la task force SNMCMG2] et [en] partiront tout au long du déploiement », précise-t-on au commandement des forces navales de l’OTAN, basé à Northwood (Royaume-Uni).
L’entrée de navires occidentaux en mer Noire ne paraît néanmoins pas pour demain. « Si d’autres pays de l’OTAN voulaient envoyer des navires de lutte contre les mines ou des navires d’escorte pour une telle opération, ce serait risqué », estime Tayfun Ozberk, ancien officier de la marine turque et expert militaire auprès du site spécialisé Naval News. Si tel devait être le cas, « l’intention doit être clairement déclarée à la Russie, et les règles d’engagement doivent être définies très soigneusement pour éviter les provocations et les escalades », explique l’analyste.
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Interrogé par Le Monde sur les implications de cet accord, l’état-major de la marine française n’a pas souhaité faire de commentaires. En septembre 2023, la France avait néanmoins participé à Sea Breeze 2023, un exercice de déminage organisé par la Roumanie au large de ses côtes. Un détachement de six marins, dont trois plongeurs-démineurs, équipés d’un robot autonome capable d’opérer sous l’eau, avait été dépêché par Paris. L’exercice avait permis de « valider l’interopérabilité des procédures françaises avec les nations riveraines de la mer Noire [et] de maintenir un haut niveau de coopération avec les alliés présents », s’était alors félicité l’état-major de la marine.