« Concernant les prisons, la Turquie traverse actuellement la période la plus intense de son histoire » rapporte Kedistan du 17 novembre 2022.
Dans la catégorie du « plus grand nombre de prisonnier.es », la Turquie occupe la 2ème place en Europe, après la Russie, et au niveau mondial, elle est 6ème.
Selon le ministère de la Justice turc, en date du 31 mars 2022, 314 milles personnes sont emprisonnées, dont 40 milles femmes, et 150 enfants avec leur mère.
Depuis 2011, on connaît une augmentation de 292% (selon les statistiques 2021 du ministère de la Justice).
Il existe 384 prisons : en 2021, 32 nouvelles prisons furent ouvertes, en 2022, 18 prisons construites, pourtant toujours surpeuplées…
Impossible de dire précisément combien de prisonniers politiques sont en geôle, mais les prisons sont remplies de femmes et d’hommes politiques, d’élus déchus de leurs mandats, de journalistes, d’artistes, d’universitaires, d’étudiants et d’activistes.
Courant octobre 2022 on comptait 57 journalistes emprisonné.es.
Il est devenu quasi impossible de suivre les incarcérations, les libérations, les déportations… C’est « le jeu des chaises carcérales » : La plupart des organisations qui faisaient ce travail de suivi ont jeté l’éponge…
Chanter en kurde, un article, une phrase d’un article sortie de son contexte, des partages sur les réseaux sociaux, sont utilisés comme « preuves » de terrorisme, pour des accusations fourre-tout comme « appartenance à une organisation illégale » ou « propagande ».
Les faux témoignages obtenus par la force, sous menaces et tortures, sont utilisés systématiquement pour des condamnations. Il existe des cas kafkaïens, d’une absurdité totale.
Quelques cas emblématiques, pour n’en citer que deux : La chanteuse Nudem Durak jetée en prison pour 19 ans. Mazlum Içli 22 ans aujourd’hui, condamné et emprisonné à l’âge de 14 ans…
Les procès qui s’étaient terminés par des acquittements sont ré-ouverts encore et encore…
Par exemple, la sociologue et activiste féministe, défenseure des droits humains, Pınar Selek en exil en France, pourtant acquittée chaque fois, fut re-jugée de nombreuses fois depuis plus de 20 ans, et cela continue. Ou encore, l’autrice Aslı Erdoğan, en exil en Allemagne, jugée pour la perpétuité et acquittée, a vu cette année, son acquittement annulé par la Cour suprême et elle est à nouveau sous le coup d’un jugement.
Dans les prisons, où le nombre de détenu.es augmente de jour en jour, on observe : de nombreuses et graves violations de droits, des interdictions et sanctions disciplinaires arbitraires, des déportations, des mauvais traitements et tortures. Mais aussi des décès suspects.
En 2022, une cinquantaine de morts… Suite aux maladies ou morts suspectes annoncées par les autorités, comme « crise cardiaque », « malaise ». On peut citer comme exemple la mort du jeune Ferhan Yılmaz en 2022. Un certain nombre de morts déclarées comme « suicide » restent également suspectes. On constate aussi des suicides réels suite à des tortures physiques et psychologiques. Comme le décès de la jeune kurde Garibe Gezer, qu’on peut qualifier de « féminicide d’Etat ».
Prisonniers malades, un vrai problème…
Actuellement on compte 1580 malades dont 600 graves.
Si le cas de certain.es prisonnier.es sont plus médiatisés que d’autres, les campagnes de solidarité autour de leur personne demandent la justice pour tous les prisonnier.es malades. Par exemple Aysel Tuğluk, femme politique souffrant de démence précoce fut libérée en fin octobre 2022, après 600 jours d’incarcération et une campagne insistante pour sa libération. Enfin libérée, mais sa maladie trop aggravée, elle ne peut être soignée. Un autre cas est celui de Mehmet Emin Özkan, à 86 ans, souffrant de plusieurs maladies, il ne peut même pas marcher, mais il est maintenu en prison.
Le journaliste Ziya Ataman est un autre exemple… Tous kurdes…
Il est utile de noter que l’accès à la santé et aux soins est extrêmement difficile. Véhicule « Ring » de transport étouffant et non adapté, longues attentes, consultations en présence de soldats, et avec menottes… L’autrice Aslı Erdoğan, qui fut prisonnière malade également, en parle dans cette interview qui a suivi sa libération provisoire.
Violations des droits…
En 2021, 901 requêtes ont été déposées auprès de l’Association des droits humains (İHD), et seulement pour les six premiers mois de 2022, on compte 506 requêtes déposées auprès de l’Institution turque des droits de l’homme et de l’égalité (TİHEK).
Les requêtes des familles et des avocats auprès des autorités judiciaires contre les violations des droits sont souvent rejetées, les requêtes des détenu.es ne sont même pas traitées. Il est régulièrement rapporté que certaines administrations pénitentiaires ne respectent pas la décision de nombreuses institutions, y compris la Cour constitutionnelle, et questionnées, ont donné la réponse « C’est différent ici ».
La libération des prisonnier.es qui ont terminé leur peine sont empêchées sous divers prétextes, comme pour Tevfik Kalkan…
Dans certains quartiers, les livres, magazines et journaux ne sont pas accessibles ou leur distribution est arbitrairement aléatoire. La diffusion de chaînes indépendantes ou opposantes sont bloquées. Ainsi, le droit à l’information est quasi systématiquement violé.
Le correspondance, qui est l’outil le plus important de communication des détenus avec l’extérieur, est souvent bloquée, les lettres ne sont pas toutes données, ou censurées. Les interdictions de communication téléphonique sont également monnaie courante. Ce sont souvent des moyens de « sanction » disciplinaire pour un oui pour un non, au mépris du droit élémentaire.
Les objets personnels, tels que sous-vêtements, chaussettes et serviettes, envoyés par les familles, ne sont pas remis aux détenu.es et on leur demande de se les procurer à la cantine à des prix exorbitants. De cette manière, les cantines sont également transformées en « sources de profit ».
De nombreuses affaires, matériels, dont des effets personnels, sont confisquées dans les quartiers, sous prétexte de « fouilles générales ».
Le droit des prisonniers de discuter entre eux n’est pas respecté, on n’autorise pas aux détenu.es le droit de se rassembler.
Les temps de promenade des prisonnier.es en cellule sont désormais diminués.
Les déportations, c’est à dire l’envoi de prisonniers dans des prisons éloignées de leurs familles sont devenues une pratique d’isolement généralisé.
Les réactions des prisonniers contre les violations des droits qu’ils-elles subissent, comme « avoir scandé des slogans« , servent également de motifs de sanctions disciplinaires. Y compris chanter en kurde…
Pour plus de détails, vous pouvez également lire la série « Notes de prison » d’Aslıhan Gençay, ex prisonnière, témoin aux premières loges, qui partage ses constats concrets.
Leur écrire est primordial !
Les prisonnier.es ont droit, à une visite hebdomadaire en cabine, une visite familiale ouverte par mois, et un appel téléphonique de 10 minutes par semaine.
A part ces droits, nos cartes et lettres sont leur seul lien avec le monde extérieur. Il faut leur envoyer nos mots, notre soutien, pour qu’ils-elles ne se sentent pas oublié.es.
Kedistan, 17 novembre 2022, Photo/ADEM ALTAN/AFP