Kemal Kilicdaroglu représentera six partis d’opposition à l’élection du 14 mai prochain. Delphine Minoui rapporte dans Le Figaro du 6 mars 2023.
L’opposition turque a finalement accouché d’un candidat commun. Après avoir manqué d’imploser, la semaine dernière, la «table des Six» (alliance de six mouvances politiques) est parvenue, ce lundi 6 mars, à désigner Kemal Kiliçdaroglu pour affronter à la présidentielle du 14 mai le président sortant Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis plus de vingt ans. «Kemel Kiliçdarolgu est notre candidat à la présidentielle», a déclaré Temel Karamollaoglu, leader du Parti de la Félicité, devant une foule rassemblée devant le siège de sa formation à Ankara, où s’étaient réunis les dirigeants des six partis.
À la tête du parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) depuis 2010, Kemal Kiliçdaroglu est un ancien haut fonctionnaire de 74 ans, issu de la minorité alévie. D’apparence plutôt réservé, mais capable de sorties véhémentes quand il s’agit de critiquer le gouvernement actuel, ce rival affiché d’Erdogan s’était notamment fait remarquer lors de la «marche pour la justice» initiée par ses soins en 2017, pour dénoncer l’injustice et la dérive autoritaire du pouvoir. Plus récemment, il n’a pas manqué de dénoncer la lenteur des autorités turques dans l’organisation des secours aux sinistrés du séisme dévastateur du 6 février.
Pour un retour du système parlementaire
Son désir de se lancer dans la course à la présidentielle n’était un secret pour personne. Mais Meral Aksener, cheffe du Bon Parti, avait d’autres objectifs en tête : pousser les très populaires maires d’Istanbul et d’Ankara, Ekrem Imamoglu et Mansur Yavas à se présenter – ce qu’ils ont préféré décliner. Après avoir claqué, vendredi 3 mars, la porte de la «table des six», l’opposante est finalement revenue sur sa décision en reprenant, ce lundi, sa place au sein de la Coalition. À une condition : que ses deux favoris héritent d’un poste de vice-président en cas de victoire de Kemal Kiliçdaroglu.
«Nous établirons tous ensemble le pouvoir de la morale et de la justice», a déclaré le prétendant désormais officiel à la présidence dans la foulée de l’annonce de sa candidature. «Nous, en tant qu’Alliance de la nation, dirigerons la Turquie sur la base de la consultation et du compromis», a-t-il ajouté, en référence à cette volonté commune de revenir à un système parlementaire pour en finir avec la concentration des pouvoirs telle qu’elle a été stipulée lors de la réforme de la Constitution initiée sous Erdogan.
Erdogan, un «animal politique» hors pair
La partie n’est pas gagnée d’avance. Dans une Turquie familière des surprises et soubresauts, l’actuel chef de l’État a récemment vu sa côte de popularité chuter sur fond de crise économique. Mais de l’avis des experts, il reste un «animal politique» hors pair, capable de tous les coups pour se maintenir au pouvoir. Le tremblement de terre, dont la gestion catastrophique des premiers jours lui a été ouvertement reprochée, pourrait ironiquement servir ses intérêts. L’état d’urgence décrété pour trois mois dans les onze villes sinistrées du Sud-Est combiné à la censure renforcée sur la presse laissent peu de marge à une campagne ouverte et transparente. Se pose aussi la question, cruciale, de l’organisation – et du risque de manipulation – du vote dans une région où plus de 45.000 personnes ont péri et près de deux millions sont sans-abri. Sans compter les nombreux déplacés et les milliers de sans-papiers qui ont perdu leurs papiers d’identité, indispensables pour voter.