Recep Tayyip Erdogan avait une idée fixe: devenir l’égal des plus grands sultans, Mehmet le Conquérant et Soliman le Magnifique. Par Patrick Saint-Paul dans Le Figaro du 7 mai 2023.
Flattant la fibre nationaliste de son peuple, il avait promis de rendre sa fierté à un Empire ottoman renaissant et de l’inscrire parmi les grandes puissances, avec lesquelles il faut compter. Encore raté! Ses ruses lui ont bien permis de se hisser au pouvoir, de s’y accrocher depuis vingt ans et d’inscrire son pays au rang des puissances illibérales, trouble-fête de l’ordre mondial. Mais la Turquie est encore très loin d’un «nouvel âge d’or ottoman». Et, humiliation suprême, le despote pourrait être chassé par les urnes, tel un simple Iznogoud, aux élections générales du 14 mai.
Rien, pourtant, ne semblait pouvoir le déloger du pouvoir. Il a profité du putsch avorté de juillet 2016 pour laisser libre cours à sa dérive autoritaire, saisissant ce prétexte pour mener de grandes purges au sein de la fonction publique, remplir les prisons, museler les médias et concentrer les pouvoirs entre ses mains. Las! Le tremblement de terre du 6 février a dévasté le sud et l’est du pays, mais aussi révélé au grand jour les fissures du système Erdogan: l’inefficacité d’un pouvoir vertical et un pays transformé en kleptocratie organisée.
À ce sombre bilan, il faut ajouter l’état de délabrement économique. Le divorce avec l’Occident, voulu par Erdogan, a eu pour coût une baisse des investissements étrangers, qui fait suffoquer le pays. La livre turque s’effondre. Le contexte mondial a fait s’envoler de 40 % le prix de l’énergie, l’inflation culmine à 51 %. La jeunesse a soif de liberté. Erdogan peut-il encore gagner? Les sondages prédisent sa défaite. Mais ils demeurent très serrés, et il utilisera tous les rouages de l’État turc pour tenter de l’emporter. Six partis d’opposition se sont alliés autour d’un candidat commun qui promet de ramener la démocratie, Kemal Kiliçdaroglu. Mais il est âgé et ne brille pas par son charisme. L’Occident ne peut que croiser les doigts en espérant que les Turcs feront entendre leur voix pour être enfin débarrassés de cet allié encombrant.