« En Turquie, une courte vidéo filmée la semaine dernière a déjà été vue plusieurs centaines de milliers de fois en ligne. On y voit Fatma Yavuz, qui a travaillé pendant 14 ans pour la présidence des Affaires religieuses avant d’être limogée en 2019 en raison de ses opinions, prendre fermement la défense des droits de ses « frères » homosexuels » rapporte Anne Andlauer dans RFI du 31 octobre 2022.
Fatma Yavuz a travaillé pendant 14 ans pour la présidence des Affaires religieuses, l’institution chargée d’organiser le culte musulman sunnite, en tant que professeure de Coran. Cette ancienne fonctionnaire a été limogée en 2019 en raison de ses opinions « contraires aux traditions de l’islam ».
La vidéo est extraite d’une intervention de Fatma Yavuz lors d’une conférence du mouvement pro-kurde Parti démocratique des peuples (HDP). Cette femme voilée y fustige une proposition du président Erdoğan : celle d’inscrire dans la Constitution le droit de porter le voile, mais aussi – et c’est là que Fatma Yavuz s’indigne – une révision qui rendrait impossible la légalisation du mariage homosexuel.
Elle déclare : « Au motif que l’homosexualité est un pêché, et elle l’est à mes yeux, ils pensent que nous ne défendrons pas les droits des LGBT. » Et de poursuivre : « Bien sûr que je veux ma liberté de porter le voile, mais pas au prix d’une réduction de la liberté de mes frères et sœurs homosexuels. »
« Si l’on touche à un cheveu d’un seul de mes frères, je retirerai mon voile et je le brûlerai. » Fatma Yavuz
La défense du short et du voile, même combat ?
Très forts, ces propos résonnent, dans le contexte des manifestations en Iran après la mort de Mahsa Amini. Ils ont suscité beaucoup de réactions, sans surprise, dans un pays comme la Turquie où le voile a longtemps été un sujet très polarisant.
Sur les réseaux sociaux et dans les médias proches du pouvoir, Fatma Yavuz a reçu d’innombrables messages de condamnation et de haine.
Elle est déjà pointée du doigt depuis longtemps par ces mêmes cercles conservateurs pour d’autres prises de position. Par exemple, quand elle clame que « défendre le short est la même chose que défendre le voile », ou que « la fierté de nos frères et sœurs transsexuelles est notre fierté ».
Mais Fatma Yavuz a aussi reçu de nombreux messages de soutien, qui louent son sens de la justice et sa défense inconditionnelle des droits humains.
La surenchère de Recep Tayyip Erdoğan
Concernant cette proposition de réforme constitutionnelle sur le voile, il s’agit d’une manœuvre politique, qui n’est même pas, à l’origine, une manœuvre du président turc.
C’est son principal opposant, Kemal Kiliçdaroglu, le chef du Parti républicain du peuple (CHP), qui a d’abord proposé d’inscrire dans la loi le droit de porter le voile. Tayyip Erdoğan a renchéri en proposant de l’inscrire dans la Constitution, si besoin via un référendum, et en rappelant que son parti avait déjà levé tous les interdits qui pesaient autrefois sur le port du voile, en particulier dans la fonction publique.
Le président en a donc profité pour y ajouter une disposition anti-LGBT. Défense du voile, « lutte contre l’homosexualité » : autant de thèmes porteurs pour Tayyip Erdoğan, qui lui permettent de jouer sur la polarisation de la société turque. Une recette électorale toujours efficace pour lui, à moins de huit mois des prochains scrutins.
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RFI, 31 octobre 2022, Anne Andlauer