Depuis qu’elle a été la cible d’un attentat, le 1er octobre, à Ankara, la Turquie a considérablement intensifié ses bombardements au Kurdistan d’Irak et de Syrie, des raids qui visent régulièrement des positions du PKK à qui elle attribue la récente attaque dans sa capitale.
Le 4 décembre 2023, Anne Andlauer, RFI.
La Turquie justifie ses incursions et ses frappes régulières contre la région autonome du Kurdistan par sa lutte contre le terrorisme. En l’occurrence, contre le Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, dont les bases, le commandement, les « quartiers généraux » pour ainsi dire, sont installés de longue date dans les montagnes du nord de l’Irak.
Pour l’armée turque, les frappes ponctuelles ou les opérations militaires d’ampleur en territoire irakien n’ont rien d’exceptionnel, on pourrait même les qualifier de « routinières ».
Elles sont aussi anciennes que la lutte contre le PKK, puisque la première opération des forces armées turques dans le nord de l’Irak remonte aux années 1980. Désormais, l’objectif d’Ankara est non seulement d’éliminer le PKK de sa base arrière principale, dans les monts Qandil, mais aussi d’empêcher la circulation des membres du PKK entre Qandil et leurs bases plus récentes à la frontière irako-syrienne, dans les monts Sinjar.
Ces opérations sont menées contre le territoire d’un pays voisin et souverain. L’argument de la Turquie – là encore très ancien – est de dire que si l’Irak ne veut pas ou ne peut pas protéger ses frontières et éliminer les combattants du PKK qui utilisent son territoire pour attaquer la Turquie, ou si l’Irak ne souhaite pas mener avec la Turquie des opérations conjointes contre le PKK, alors l’armée turque s’en chargera seule. Dans les faits, ces opérations sont menées avec l’accord tacite des autorités de la région du Kurdistan autonome, avec lesquelles la Turquie a de bonnes relations.
Quant au gouvernement central irakien, il condamne régulièrement, pour la forme, les incursions turques. La présence d’une quarantaine de bases militaires turques a par ailleurs donné lieu par le passé à de fortes tensions bilatérales. Mais en pratique, Bagdad semble impuissant à contrer son voisin turc, qui a par ailleurs accru ses efforts diplomatiques ces dernières années afin d’entretenir, là encore, une forme d’accord tacite. Lors des opérations récentes, les autorités turques ont assuré avoir informé et obtenu l’appui des autorités centrales irakiennes en amont, ce que ces dernières ont démenti.
Depuis 2019, l’armée turque semble toutefois intensifier ses opérations et avancer de plus en plus profondément dans la région kurde irakienne. De plus, les services de renseignement turcs mènent régulièrement ce qu’ils appellent des opérations et des frappes « ciblées » contre des cadres du PKK dans le nord de l’Irak. D’ailleurs, grâce au développement de son industrie de défense, la Turquie utilise de plus en plus souvent ses drones armés pour attaquer le PKK en Irak. L’autre point important, c’est que l’intensification des opérations dans le nord de l’Irak va de pair avec ce que les autorités d’Ankara présentent comme leur « nouvelle stratégie » de lutte contre le terrorisme, c’est-à-dire frapper les ennemis « à la source », éliminer les menaces identifiées hors du territoire avant qu’elles n’aient le temps de frapper en Turquie même.
Tout cela témoigne d’une volonté d’Ankara d’installer une présence durable dans ces régions frontalières, afin d’établir une sorte de « zone tampon » dans le nord de l’Irak.