« Le président turc, qui avait vivement critiqué l’exécution du journaliste saoudien en 2018 à Istanbul, entame une visite en Arabie Saoudite en quête de contrats pour relancer une économie et une livre turque qui dévissent » dit Hala Kodmani dans Libération du 28 avril 2022.
Le spectre de Jamal Khashoggi, devrait rôder ce jeudi à Riyad pendant la rencontre entre Recep Tayyip Erdogan et Mohamed ben Salmane, dit MBS. Car, pour la première fois depuis l’assassinat horrifiant du journaliste saoudien en octobre 2018 à Istanbul, le Président turc se rend en visite en Arabie Saoudite. Celle-ci a sans doute été rendue possible depuis que la justice turque a clôturé, il y a trois semaines, le procès par contumace de 26 Saoudiens accusés du crime, renvoyant le dossier à Riyad.
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Cette procédure constituait le dernier obstacle à une reprise des relations entre MBS et Erdogan qui avait, à l’époque des faits, dénoncés avec force l’assassinat du journaliste et promis de rendre justice à la victime. Ce sont les services turcs qui avaient alors révélé tous les détails atroces du meurtre du journaliste au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, par un commando d’une vingtaine d’agents saoudiens venus spécialement pour éliminer l’opposant Jamal Khashoggi. MBS n’avait pas pardonné à la Turquie d’avoir révélé ces informations et, surtout, de les avoir transmises aux Etats-Unis. Il en voulait personnellement à Erdogan d’avoir livré aux services américains les preuves de sa «validation» du crime qui brouillent jusqu’aujourd’hui les relations historiques entre Washington et le Royaume.
Une inflation qui a dépassé les 60%
Mais il est devenu essentiel pour Erdogan de tourner la page Khashoggi, en renouant avec l’Arabie Saoudite qui peut contribuer à sortir la Turquie de la crise économique profonde dans laquelle elle est plongée depuis plus d’un an. L’effondrement de la livre turque et une inflation qui a dépassé les 60 % sur les douze derniers mois mettent à mal la politique économique contestable dictée par Erdogan. Celui-ci multiplie depuis plusieurs mois les initiatives de réconciliation avec les pays du Golfe et les autres pays de la région en vue de relancer les échanges commerciaux nécessaires à son économie. Les produits turcs ont d’ailleurs recommencé à investir le marché saoudien depuis le début de l’année 2022. Les chambres de commerce saoudiennes ont indiqué mercredi que les importations de Turquie se sont accélérées dès l’annonce de la normalisation des relations entre les deux pays.
Signe d’un embarras persistant toutefois entre les deux puissances régionales, la visite du Président turc en Arabie saoudite a été confirmée aux agences de presse internationale par des responsables turcs ayant requis l’anonymat plutôt que par des communiqués officiels d’Ankara ou de Riyad. L’une des sources a indiqué que lors de la rencontre entre Erdogan et MBS, la question des investissements saoudiens en Turquie serait à l’ordre du jour. Au moment où la hausse des prix du pétrole rapporte des bénéfices considérables au premier exportateur mondial qu’est l’Arabie Saoudite, la perspective que certains de ces fonds se dirigent vers la Turquie est tentante pour Erdogan. Elle vaut largement l’enterrement du dossier de Jamal Khashoggi dont le corps dépecé n’aura peut-être jamais de sépulture.
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Libération, 28 avril 2022, Hala Kodmani, Photo/Umit Bektas/Reuters