Le principal opposant au président Recep Tayyip Erdogan est détenu depuis le 19 mars. Il a demandé, dans un message transmis par ses avocats, aux citoyens et la justice de son pays de « ne pas se taire »
Des milliers de manifestants ont afflué jeudi devant le siège de la municipalité d’Istanbul pour la deuxième journée d’affilée en soutien au maire d’opposition, Ekrem Imamoglu. Principal opposant au président Recep Tayyip Erdogan, le maire d’Istanbul, qui a été arrêté mercredi pour corruption et terrorisme, a appelé, jeudi 20 mars, la nation turque à réagir et les juges de son pays à « ne pas se taire », en accusant le président de ne jamais rendre de comptes.
« J’en appelle aux membres du pouvoir judiciaire (…). Vous devez agir et vous occuper de cette poignée de collègues qui ternissent notre système judiciaire, nous humilient sur la scène internationale et détruisent notre réputation », a écrit l’édile dans un message posté sur X par ses avocats, au lendemain de son placement en garde à vue.
S’adressant sans le nommer au chef de l’Etat, M. Imamoglu lui a reproché « d’innombrables taches dont vous ne pouvez pas rendre compte, ni dans votre pays ni à l’étranger ». Dès l’après-midi, des manifestants, majoritairement étudiants des universités de la ville, ont convergé vers l’hôtel de ville d’Istanbul où le parti du maire, le Parti républicain du peuple (CHP), a invité à un nouveau rassemblement en soirée, pour dénoncer ce qu’ils qualifient de « coup d’Etat ».
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Importante mobilisation
Des milliers de personnes se sont rassemblées devant l’hôtel de ville d’Istanbul jeudi soir. La police turque a fait usage de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes en direction des manifestants, ont constaté des correspondants de l’Agence France-Presse – sans qu’aucun blessé ne soit signalé.
Les policiers ont ainsi voulu bloquer un groupe de jeunes manifestants qui tentaient de se diriger vers la place Taksim, rendue inaccessible par les forces de l’ordre. Juché sur un bus, le président du CHP Özgür Özel, qui avait convoqué à ce rassemblement, a interpellé la police. « Je ne veux pas voir de balles en caoutchouc ici. Sinon, la police d’Istanbul sera tenue pour responsable de ce qui se passera », a-t-il prévenu. « Qui êtes-vous pour asperger de gaz l’espoir de la Turquie ? », a-t-il poursuivi, accompagné par les huées de la foule qui appelait à la démission du président.
Le maire de la plus grande ville et capitale économique du pays devait être intronisé dimanche candidat du CHP (social-démocrate), première force d’opposition au parlement, à la présidentielle de 2028. Mais l’annulation, mardi, de son diplôme le prive de facto de toute possibilité de briguer la magistrature suprême. Aussi met-il en garde les Turcs : « Les mêmes qui se sont emparés de mon diplôme s’attaqueront à vos biens, à votre honneur (…). En tant que nation, nous devons rester unis contre ce mal ».
La place Taksim et le parc adjacent de Gezi, lieux emblématiques de la contestation au cœur d’Istanbul, restaient interdits d’accès jeudi pour prévenir tout rassemblement, par ailleurs défendus jusqu’à dimanche par le gouverneur de la métropole. De même, l’accès à plusieurs réseaux sociaux et messageries dont X et WhatsApp était toujours restreint jeudi à Istanbul, a constaté l’AFP. Et le ministre de l’intérieur, Ali Yerlikaya, a annoncé l’arrestation de 37 personnes pour des « messages provocateurs » sur les réseaux sociaux.
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Vague d’arrestations
Outre M. Imamoglu, plus de 80 personnes ont été interpellées mercredi et une vingtaine d’autres sont recherchées. Parmi elles, six personnes sont également accusées de « soutien à une organisation terroriste », le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), mouvement armé interdit qui s’est récemment engagé à déposer les armes. Selon les médias locaux, les interrogatoires des gardés à vue n’ont commencé que jeudi matin.
Cette nouvelle vague d’arrestations touchant l’opposition a fait baisser la livre turque à des niveaux jamais atteints jusqu’à mercredi. La Banque centrale turque a fait savoir dans un communiqué qu’elle puiserait le cas échéant dans ses réserves de change pour empêcher toute chute de la monnaie nationale, comme elle l’a fait mercredi selon des économistes.
M. Imamoglu, qui a ravi en 2019 la municipalité d’Istanbul, est vu comme le principal rival du chef de l’Etat, qui s’est abstenu pour l’heure de tout commentaire. Les maires de plusieurs capitales et grandes villes européennes, ainsi que les ministères des affaires étrangères français et allemand ont condamné son interpellation, mettant en garde contre les conséquences pour la démocratie turque.(souligné par la rdct)
Mercredi soir déjà, malgré le froid, plusieurs milliers de personnes avaient répondu à son appel à se mobiliser en scandant, entre autres, « Imamoglu, tu n’es pas seul ! ». L’épouse du maire, Dilek Imamoglu, a affirmé que « le seul crime d’Imamoglu est (…) d’avoir conquis le cœur des gens. Son seul crime est qu’il sera le prochain président ! ».