COURRIER INTERNATIONAL, 29 janvier, 2025
La chasse aux opposants en Turquie s’étend et se tend. Après les maires démis de leurs fonctions et l’arrestation d’avocats, les journalistes sont dans le collimateur du pouvoir, sur fond d’un nouveau bras de fer entre le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, et le président, Recep Tayyip Erdogan, très commenté par la presse turque.
La répression contre la presse critique et les menaces contre l’opposition se poursuivent en Turquie avec l’arrestation, dans la soirée du mardi 28 janvier, de trois journalistes de la principale chaîne d’opposition, Halk TV. Le directeur des programmes, Serhan Asker, la présentatrice d’un programme d’information Seda Selek et le journaliste bien connu du public turc [et déjà emprisonné à plusieurs reprises] Baris Pehlivan ont été interpellés devant les locaux de la chaîne.
De nombreux manifestants se sont rassemblés dans la nuit devant le bâtiment pour réclamer leur libération.
Les trois journalistes sont soupçonnés d’avoir enregistré un échange téléphonique avec un expert judiciaire – à son insu – et de l’avoir diffusé.
Accusés d’avoir voulu “influencer” l’expert et de l’avoir enregistré illégalement, les journalistes ont été déférés devant le juge mercredi 29 janvier, rapporte le média en ligne T24.
L’identité de l’expert en question avait été révélée deux jours plus tôt par le maire d’Istanbul, appartenant à l’opposition, Ekrem Imamoglu, qui s’étonnait alors que ce spécialiste soit derrière la rédaction de tous les rapports judiciaires concernant les mairies du CHP, le principal parti d’opposition (laïc et nationaliste).
Quarante-trois journalistes emprisonnés en 2024
Récemment, de nombreux maires appartenant à l’opposition ont été arrêtés et démis de leurs fonctions, notamment à Istanbul, où l’édile de l’arrondissement le plus peuplé de la ville (Esenyurt) a été emprisonné pour “appartenance à une organisation terroriste” et celui du quartier de Besiktas, fief du CHP, placé en détention pour “corruption”.
Le président islamo-nationaliste, Recep Tayyip Erdogan, a applaudi les arrestations de ceux qu’il accuse d’avoir “vendu leur plume” à l’opposition, souligne le quotidien Birgün. “En proie à la panique, ils vont jusqu’à menacer les membres de l’institution judiciaire”, a accusé le président turc.
L’expert en question a également donné une interview au quotidien islamo-nationaliste Yeni Safak, où il niait toute partialité et disait se sentir menacé après que son identité avait été rendue publique.
Le maire d’Istanbul a pris la défense des journalistes arrêtés : “Leur complot mis à jour, ils s’en prennent au journalisme, ils croient nous faire plier, mais je continuerai à les combattre jusqu’au retour de la démocratie”, a-t-il déclaré, cité par Cumhuriyet.
Quarante-trois journalistes ont été emprisonnés en Turquie au cours de l’année 2024. Fin décembre, une frappe d’un drone turc tuait deux journalistes turcs d’origine kurde qui couvraient les combats dans le nord de la Syrie.
En 2024, l’organisation Reporters sans frontières (RSF) a placé la Turquie au 158e rang sur 180 pays dans son classement sur la liberté de la presse.
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