Hafize Gaye Erkan a quitté la tête de l’institution financière turque, après une campagne de presse l’accusant de favoritisme. Sa politique de hausse des taux pour juguler une inflation débridée devrait être poursuivie.
Elle n’aura tenu que huit mois. Vendredi 2 février au soir, la gouverneure de la banque centrale de Turquie, Hafize Gaye Erkan, cible d’une campagne de presse l’accusant de favoritisme, a brusquement annoncé sa démission avant d’être remplacée, quelques heures à peine plus tard, par le gouverneur adjoint, Fatih Karahan, lui aussi, comme sa désormais prédécesseure, ancien banquier à New York. Une nomination promptement menée par le président Recep Tayyip Erdogan et interprétée par les spécialistes financiers comme la volonté du pouvoir de poursuivre la transition de l’économie du pays, engagée depuis le printemps 2023 dans une politique économique plus orthodoxe et plus favorable aux investisseurs.
Dans son communiqué, la gouverneure, âgée de 44 ans, a expliqué avoir demandé au président d’être « libérée de [ses] fonctions, qu’[elle a] remplies avec honneur depuis le premier jour ». L’ex-gouverneure a justifié son départ précipité pour préserver « [sa] réputation » qui, selon elle, a subi ces dernières semaines « une grande campagne de diffamation ». Elle a ajouté avoir pris sa décision « pour protéger [sa] famille et [son] bébé innocent, âgé de moins de 18 mois ».
Dans les faits, Mme Erkan a été notamment accusée, par plusieurs médias, d’avoir permis à son père, Erol Erkan, de prendre en toute illégalité des décisions au sein de la banque centrale. Ce dernier aurait fait licencier une des collaboratrices de l’institution et harcelé plusieurs de ses membres. Certaines scènes auraient été filmées. Un bureau, une voiture de fonction et des gardes de corps auraient été également accordés à M. Erkan, aux ordres duquel « personne n’ose s’opposer », ont également rapporté les journaux turcs, suscitant de vives critiques sur les réseaux sociaux.
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Le 18 janvier, la gouverneure avait nié en bloc, affirmant que « des informations délibérées et mensongères ont circulé ces derniers jours, détruisant la confiance dans notre banque en [la] ciblant [elle] et [sa] famille ». Les partis d’opposition avaient, eux, appelé Mme Erkan à démissionner de son poste.
Crise vertigineuse
Selon certains observateurs, Hafize Gaye Erkan se serait aussi attiré les foudres du président lorsqu’elle a raconté, en décembre 2023 au quotidien Hürriyet, qu’elle était contrainte de retourner vivre chez ses parents, avec ses enfants et son mari, à cause de l’inflation et de la flambée de l’immobilier en Turquie. « Est-il possible qu’Istanbul soit devenue plus chère que Manhattan ? », avait-elle fait mine de s’interroger dans l’entretien.
Première femme à ce poste et réputée pour son expertise aux Etats-Unis, Mme Erkan avait pris ses fonctions début juin 2023, une semaine après la réélection du président Erdogan. Les investisseurs occidentaux avaient salué ses premières mesures, une série rapide de hausses des taux d’intérêt qui ont aidé à stabiliser une livre turque en déroute et à légèrement maîtriser la flambée du coût de la vie. Le pays, en proie depuis plus de quatre ans à une crise vertigineuse, avait vu l’inflation atteindre 85 % en 2022 et près de 65 % en 2023, selon les statistiques officielles. Beaucoup plus, d’après différents organismes indépendants.
Sous sa direction, la banque centrale a entamé l’un de ses plus longs cycles de resserrement du loyer de l’argent de l’histoire turque, passant successivement le taux de base de 8,5 % à 45 % et abandonnant par là même la politique de facilité monétaire que le président Erdogan avait imposée pendant des années. Les investisseurs avaient largement salué ce changement, au point où la Deutsche Bank avait déclaré, en novembre 2023, que les obligations en monnaie turque seraient l’un des placements phares de l’année sur les marchés émergents en 2024.
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Après le départ de Mme Erkan, le ministre du trésor et des finances, Mehmet Simsek, s’est voulu rassurant, déclarant dans un communiqué que le président « a toute confiance en [leur] équipe économique, en [leur] programme et les soutient pleinement » : « Nous nous engageons à mettre en œuvre notre programme de désinflation et à prendre les mesures nécessaires pour atteindre la stabilité des prix. » C’est à peine s’il a salué le travail de Hafize Gaye Erkan. « La décision prise par l’ancienne présidente de la banque centrale est totalement personnelle et relève de sa propre appréciation. Nous respectons sa décision et lui sommes reconnaissants pour ses services », a-t-il énoncé dans son tweet.
Son remplaçant, Fatih Karahan, occupe le poste de gouverneur adjoint de la banque centrale depuis juillet 2023. Il est diplômé en mathématiques de l’université du Bosphore et a obtenu un doctorat en économie à l’université de Pennsylvanie, aux Etats-Unis. Il est devenu économiste à la Federal Reserve Bank de New York, entre 2012 et 2022, avant de rejoindre le géant Amazon.
La livre turque s’est affaiblie après l’annonce de la démission de Mme Erkan, chutant de 0,5 %, à 30,48 pour 1 dollar à minuit à Istanbul, un niveau de clôture record. La monnaie s’est dépréciée d’environ 23 % depuis que Mme Erkan et M. Simsek ont été nommés par le président.