Sur le papier, ce scrutin ne manque pas d’enjeux. Le pouvoir et l’opposition se disputent notamment les plus grandes villes, Istanbul et Ankara, que l’opposition dirige depuis 2019, mais que le président Erdogan espère reconquérir le dimanche 31 mars. Mais la campagne de ces dernières semaines a manqué d’élan.
RFI, le 27 mars 2024, par Anne Andlauer
On peut dire que c’est en Turquie la campagne la plus plate, la moins enthousiaste des quinze dernières années, si ce n’est plus. Et pourtant, chaque camp a beaucoup à perdre ou à gagner dans la bataille. Mais du côté des dirigeants politiques comme du côté des électeurs et, parfois même, des candidats eux-mêmes, on ressent une fatigue, un manque d’engouement ou d’inspiration, et l’envie que cette échéance électorale soit passée.
Que ce soit au niveau national ou au niveau des grandes villes – puisque ce sont les niveaux les plus visibles de cette campagne, qui concerne autant Istanbul et ses 16 millions d’habitants que le plus petit village d’Anatolie – aucune image, aucun slogan, aucun discours n’a marqué les esprits.
Des campagnes qui manquent d’entrain
Du côté du pouvoir, le président Erdogan s’est certes impliqué dans la campagne, mais moins que lors des précédentes municipales. Pas de promesses de projets grandioses, pas de stratégie de polarisation à outrance comme lors de sa campagne présidentielle de l’an dernier. Recep Tayyip Erdogan et ses candidats se sont pour l’essentiel contentés de dépeindre leurs adversaires en incompétents corrompus et de se présenter comme les seuls capables de gérer correctement les villes.
Du côté de l’opposition, même pour le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, qui joue sa réélection et sans doute son avenir politique, on est loin de la campagne pleine d’entrain de 2019, avec son fameux slogan « Tout ira très bien ». Cette fois-ci, le maire défend son bilan et espère garder son fauteuil malgré un handicap : contrairement à 2019, il n’est pas soutenu par une alliance de partis d’opposition, mais par son seul parti, le CHP social-démocrate.
Des électeurs lassés et une opposition désillusionnée
Les électeurs sont touchés par cette fatigue électorale et cela se ressent dans le quotidien. Les élections sont par exemple loin de monopoliser les conversations, dans les meetings politiques les partisans sont moins nombreux que lors des précédents scrutins. Le président Erdogan s’en est plaint, d’ailleurs, le week-end dernier à Istanbul, lorsqu’il a dit depuis l’estrade : « On était habitué à 1,5 million de personnes, là, j’ai 650 000 personnes face à moi. »
Comment expliquer alors que cette campagne municipale manque à ce point de souffle ou d’intérêt ? Sans doute par le fait que la Turquie a vécu beaucoup de campagnes ces dernières années. C’est la neuvième en dix ans, voire la dixième si l’on compte les dernières élections municipales à Istanbul, qui s’étaient jouées en deux fois, en mars et juin 2019. Il y a un effet de lassitude. Les Turcs ont par ailleurs d’autres priorités, à commencer par leur pouvoir d’achat en chute libre depuis deux ans.
Et puis pour les électeurs de l’opposition, le choc de la défaite aux élections présidentielle et législatives de l’an dernier est encore dans tous les esprits. Beaucoup avaient cru dur comme fer que l’opposition unie allait enfin battre Recep Tayyip Erdogan dans les urnes. Aujourd’hui, c’est une opposition désunie et désillusionnée qui se présente face aux électeurs.
Étonnamment, pour trouver un peu d’enthousiasme, il faut se tourner vers le parti islamiste Yeniden Refah. Né en 2018, mais héritier d’une longue tradition de l’islam politique turc, ce parti est en pleine ascension. Il assure avoir gagné plus de 230 000 membres depuis l’an dernier – dont beaucoup d’électeurs déçus de Recep Tayyip Erdogan – et présente pour la première fois ses propres candidats. Ces derniers, motivés par l’envie de faire leurs preuves, ont fait une campagne remarquée et attendent avec impatience le scrutin de dimanche.