Turquie. À Diyarbakir, des islamistes kurdes tentent d’imposer leur loi dans la rue / COURRIER INTERNATIONAL

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Dans la plus importante localité du sud-est de la Turquie, les incidents provoqués par des groupes se sentant légitimés par le discours du pouvoir et bénéficiant d’une forme d’impunité se sont multipliés ces dernières semaines, ravivant le spectre des sombres années 1990.

Courrier International, le 4 juillet 2024

C’est d’abord un cours donné en plein air par une école de danse dans un parc de Diyarbakir, la grande ville kurde du sud-est de la Turquie, qui a été attaqué, le 10 juin. Au prétexte que ce cours était donné en public et mélangeait filles et garçons, un groupe d’une cinquantaine de personnes a attaqué les participants aux cris de “Dieu est grand”, faisant deux blessés, rapporte le média en ligne T24.

Puis, le 22 juin, un autre groupe, sorti d’une mosquée après la prière, envahissait un café Starbucks et un restaurant Burger King, accusés de sympathies pro-israéliennes, en scandant “Combat, djihad, martyr !”, l’un des slogans de ralliement des islamistes turcs, provoquant la fuite des clients paniqués.

“Ils ont tenté de lyncher le manager, qui a dû s’enfermer dans une pièce. La police est arrivée mais elle n’est pas intervenue”, s’indigne un employé dans les colonnes du média kurde turc Yeni Yasam.

Enfin, le 27 juin, un esclandre est survenu au sein d’une résidence de luxe de la ville. Alors que des voisines s’étaient réunies pour profiter d’une piscine en plein air, elles ont été prises à partie, traitées de “prostituées” par des hommes promettant qu’ils allaient détruire les lieux, qu’ils ont endommagés à coups de masse, rapporte le média en ligne Gazete Duvar.

Le spectre des années sombres

Tous ces événements font planer sur la ville le spectre des sombres années 1990, lorsque le Hezbollah turc, groupe djihadiste kurde très lié aux services de sécurité de l’époque, multipliait les enlèvements et les meurtres dans la région, notamment contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

“Qu’est-ce que tu crois que tu peux faire contre moi ? On a tué vos pères, vous ne savez même pas où ils sont enterrés”, s’est ainsi vanté un des assaillants de la piscine, comme l’atteste l’enregistrement vidéo de la scène.

“Ces groupes tentent de remplir le vide laissé par le mouvement kurde, qui s’essouffle à Diyarbakir et qui n’est plus en mesure d’opérer dans la ville comme par le passé”, estime un éditorialiste du média en ligne BianetUne référence au PKK, dont la branche locale est exsangue depuis qu’un mouvement d’insurrection a été maté dans le sang dans les villes du sud-est du pays en 2015 et 2016.

Le jeu trouble du pouvoir

Pour l’opposition, ces attaques s’expliquent par la croissance du mouvement islamiste kurde incarné par le Hüda-Par (“Parti de la cause libre”), vitrine légale du Hezbollah turc, aujourd’hui considéré comme terroriste par Ankara, et les associations qui lui sont proches.

Au printemps 2023, à l’approche d’une élection présidentielle qui s’annonçait très disputée, le président, Recep Tayyip Erdogan, avait fait le choix de forger une alliance avec ce petit parti très implanté dans certaines localités kurdes.

“Le choix de l’AKP [le parti présidentiel] de s’allier avec des groupes islamistes et réactionnaires et de les renforcer finit par se traduire dans la rue, et les femmes en sont les premières victimes”, déplore le quotidien de gauche Birgün.

Le quotidien souligne également que ces polices religieuses improvisées se sentent légitimées par le discours du pouvoir. Ainsi, Ali Erbas, le président de la puissante Direction des affaires religieuses, et ses 200 000 imams et employés rémunérés par des fonds publics, décrivait dans un discours du 28 juilletl’“alcool” et la “fornication” comme des comportements “immoraux” devant être combattus, souligne le journal.

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