« Ces derniers jours, le groupe islamiste Hayat Tahrir Al-Cham, qui contrôle une grande partie de la province d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, a mené une offensive plus au nord, dans les zones contrôlées par la Turquie et des rebelles syriens qui lui sont proches. Une opération qui a obligé les troupes d’Ankara à se déployer sur le terrain » dit Courrier International du 20 octobre 2022.
C’est “une situation d’incertitude” qui règne dans les régions du nord-ouest de la Syrie contrôlées par la Turquie et les rebelles au régime de Bachar El-Assad qu’elle soutient, écrit le site syrien d’opposition Enab Baladi.
La séquence a débuté, raconte Enab Baladi, avec l’assassinat, le 8 octobre dernier, d’un journaliste et activiste dans la localité d’Al-Bab, dans le gouvernorat d’Alep. Cette mort, raconte le média syrien, a mis le feu aux poudres entre la Division Hamza, dont des combattants seraient impliqués dans ce meurtre, et la 3e Légion, qui forme le noyau d’Al-Jabha Al-Chamiya – “Front levantin” en arabe.
Comme l’explique le média panarabe Al-Arabiya, il s’agit de quelques-unes de la trentaine de factions armées proturques regroupées au sein de l’Armée nationale syrienne présentes dans cette zone frontalière avec la Turquie, prise par Ankara lors des opérations Bouclier de l’Euphrate (août 2016-mars 2017) et Rameau d’olivier (janvier-mars 2018).
Poussée jusqu’à Afrine
Le 11 octobre, prenant prétexte du “danger” que représentent les combats entre factions alliées, le groupe islamiste du Hayat Tahrir Al-Cham (HTS), qui contrôle et administre une grosse moitié de la province voisine d’Idlib – le dernier bastion rebelle syrien –, décide d’intervenir en envoyant des troupes en soutien à la Division Hamza, également soutenue par la Division Suleiman Shah.
En quelques jours, le HTS, qui a également des liens avec la Turquie, a pris le contrôle total de la région d’Afrine, proche de la frontière turque, au grand dam de ses habitants. Plusieurs manifestations contre l’intervention du HTS ont eu lieu dans ce secteur.
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Alors que les islamistes lorgnaient la petite ville d’Azaz, porte d’entrée vers la Turquie, Ankara a fini par déployer des troupes dans l’ensemble de la zone et ainsi “imposé un accord de cessation des hostilités consistant entre autres au retrait des forces militaires du HTS des zones qu’il a conquises”, écrit le quotidien panarabe Asharq Al-Awsat. Un retrait qui a débuté ces dernières heures.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), 28 combattants du HTS et 20 autres des factions proturques, ainsi que dix civils, ont été tués lors de ces affrontements, les plus meurtriers depuis des années.
“Pakistanisation de la Turquie”
Pour le média d’opposition Syria TV, la campagne militaire lancée par le HTS, considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis, fait en réalité partie d’un “projet d’expansion” vers le nord, au-delà d’Idlib.
L’objectif était d’“éliminer les forces militaires entravant ce projet”, d’empêcher “la formation d’un commandement militaire et d’une administration unifiée pour les factions au nord d’Alep” et de “prendre le contrôle du commerce du carburant” dans toute la région du nord-ouest de la Syrie.
Côté turc, la presse progouvernementale reste silencieuse, alors que la presse d’opposition s’inquiète des liens d’Ankara avec le HTS et les groupes rebelles du Nord-Ouest syrien. C’est notamment le cas du média en ligne Gazete Duvar :
“Le problème est qu’Erdogan, dans sa politique syrienne, a pris pour habitude de s’allier à des groupes pourtant reconnus internationalement comme des organisations terroristes.”
Gazete Duvar critique aussi bien la coopération des services secrets turcs avec le HTS que le soutien matériel de la Turquie à des groupes de mercenaires d’inspiration islamiste, comme la Division Hamza ou la Division Suleiman Shah,“chevaux de Troie pro-HTS”.
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Pour le quotidien d’opposition de gauche Evrensel, la Turquie, en faisant le choix de ne pas intervenir plus fortement et en acceptant l’influence militaire grandissante des djihadistes du HTS dans la zone, tout en maintenant sa politique anti-Kurdes, également présents dans cette région, prend un risque majeur :
“Il s’agirait alors d’une pakistanisation de la Turquie [en référence au soutien pakistanais à certains groupes talibans afghans], qui accepterait de partager sa frontière avec un groupe islamiste radical, ce qui ne manquerait pas de créer des risques sécuritaires importants pour le pays et pour la région entière.”
Courrier International, 20 octobre 2022, Photo/Delil SOULEIMAN/AFP