Les romans de l’écrivaine franco-turque Sema Kılıçkaya témoignent des intraduisibles* d’une langue à une autre, ici du turc vers le français. Elle dit les bizarreries qu’on obtient à effectuer dans un milieu français des gestes dont le sens s’est construit au sein d’une tradition turco-mésopotamienne. « Née en 1968 à la frontière turco-syrienne et arrivée à l’âge de 4 ans en France, Sema Kılıçkaya est enseignante, traductrice et autrice ». Elle est agrégée d’anglais et ses langues intimes, français inclus, l’autorisent à jouer avec les mots comme elle le fait dans son roman « La langue de personne ». Pour ce livre elle a reçu le prix France-Turquie 2018.
On ne débattra pas pour savoir si son écriture relève plus de la littérature d’expatriée, d’immigrée ou d’exilée. Elle confie à la caméra de l‘Observatoire de la Turquie Contemporaine qu’elle s’émancipe dans le temps de cette particularité. Son écriture prend place progressivement au sein de la création littéraire française prise au sens large. Ainsi elle se rapproche de la situation des écrivains originaires de Turquie en Allemagne dont les romans ne relèvent plus du genre « littérature d’exil » ou « de diaspora » . Ils participent pleinement de la scène littéraire allemande. Leslie A. Adelson, critique littéraire, avance même que l’écriture en allemand des originaires de Turquie a eu une influence si tangible sur la littérature allemande qu’elle a fait bifurquer cette littérature allemande. Adelson intitule son livre au sujet de la place des auteurs issus de Turquie en Allemagne The Turkish Turn in contemporary German Literature. **, ***
Nora Seni
*voir Barbara Cassin (dir.), Vocabulaire européen des philosophies : Dictionnaire des intraduisibles. Seuil [2004], 1 532 p.
** Leslie A. Adelson The Turkish turn in contemporary German literature : toward a new critical grammar of migration ·Springer, 2005
*** Nora Seni “Turquie-Allemagne. partenariats tumultueux, liens indissoloubles » La revue Hérodote, no.175, pp 69-85