« Une centaine d’enquêtes ont été lancées contre des promoteurs. Mais sont-ils les seuls responsables ? Pendant vingt ans, le travail d’inspection qui incombe à l’État n’a pas été fait, juge la presse d’opposition » rapporte Courrier International du 17 février 2022.
Le double séisme qui a ravagé le sud-est de la Turquie le 6 février a fait au moins 38 000 victimes, tuées dans l’effondrement des bâtiments dans lesquels elles résidaient ou mortes prisonnières des gravats en attendant les secours.
Dans les premiers jours qui ont suivi le drame, l’attention de l’opinion s’est portée sur les promoteurs immobiliers qui ont construit ces bâtiments. Certaines résidences de luxe, qui vantaient la sécurité de leurs installations, se sont effondrées comme des châteaux de cartes.
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Ces promoteurs sont accusés d’avoir fait des économies qui se sont avérées criminelles. “Les principales fraudes s’observent sur les quantités d’acier utilisées dans les armatures et les colonnes des bâtiments, ainsi que sur la qualité du béton”, résume le quotidien de gauche écologiste Gazete Oksijen.
Des contrôles lacunaires voire inexistants
Le journal calcule ainsi qu’en utilisant uniquement les deux tiers de la quantité d’acier recommandée au mètre carré et un béton de moindre qualité, un constructeur peut espérer réaliser une économie d’au moins 5 à 10 %, ce qui représente des dizaines de milliers d’euros quand il s’agit d’édifier un immeuble d’appartements.
L’emplacement du chantier, les sols, les plans et les matériaux utilisés doivent en principe être contrôlés par une entreprise privée mandatée par l’État ainsi que par la municipalité.
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Mais ces contrôles sont souvent trafiqués, déplore Hüseyin Alan, président de la Chambre des géologues de Turquie, interrogé par le journal. Souvent, ingénieurs et architectes chargés de l’inspection apposent leur signature après une simple consultation des plans, sans effectuer de véritable contrôle, affirme le géologue. Quant aux municipalités, elles sont aux abonnés absents. “La mairie de Gaziantep, une ville de 2,5 millions d’habitants, qui a été durement touchée par le séisme, n’emploie pas un seul géologue”, déplore-t-il.
La difficile désignation des coupables
“La chasse aux promoteurs”, titre, quant à lui, le média en ligne Diken, qui donne quelques exemples de promoteurs arrêtés ou en fuite, alors que la justice à ouvert plusieurs centaines d’enquêtes, et que plusieurs dizaines de constructeurs ont été placés en détention provisoire. Certains tentent de fuir à l’étranger, précise le média, qui rapporte que l’un d’eux a été arrêté le 16 février au large de la ville de Marmaris, alors qu’il essayait de quitter le pays en voilier.
Longtemps silencieux, le pouvoir a finalement choisi de viser aussi les constructeurs. “Aucun bâtiment ne sera déblayé sans que l’on ait fait au préalable des prélèvements” qui pourraient servir d’indice ou de preuve d’une construction fautive, a promis le ministre de l’Intérieur, selon des propos relayés par Cumhuriyet.
“N’est-ce la faute que des promoteurs ?” se demande le quotidien kémaliste Sözcü. “Ne sont-ils pas des boucs émissaires bien pratiques ? Qu’en est-il des organismes de contrôle publics et privés qui n’ont pas fait leur travail ? Des municipalités qui ont accordé les permis de construire ?”
Certains reprochent au pouvoir, qui, depuis vingt ans, fait du BTP la locomotive de l’économie turque, d’avoir encouragé un laisser-faire généralisé malgré le risque sismique qui pèse en permanence sur le pays.
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“Nous avons vécu une catastrophe naturelle, observe ainsi un député de l’opposition de gauche, cité par le quotidien Evrensel. Mais ce qui a transformé cette catastrophe en tragédie d’une telle ampleur, c’est ce pouvoir avide d’argent qui a enfermé ce pays dans un cercueil de béton.”
Courrier International, le 17 février 2022.