« Annoncée depuis plusieurs mois, la visite rendue par le président turc à son homologue russe, Vladimir Poutine, a permis de mettre en avant les bonnes relations entre les deux pays, mais Ankara n’est pas parvenu à remettre sur les rails l’accord pour l’exportation de céréales ukrainiennes à travers la mer Noire Ce qui n’empêche pas presse turque proche du régime de couvrir d’éloges Recep Tayyip Erdogan.«
Article du Courrier International du 5 septembre 2023
Sous la plume d’Abdulkadir Selvi, éditorialiste d’Hürriyet proche du pouvoir turc, le compte rendu de la rencontre du lundi 4 septembre entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son homologue russe, Vladimir Poutine, a des airs de journal de vacances : “À notre arrivée à Sotchi, après une heure et demie d’avion depuis Istanbul, le temps était chaud et ensoleillé. C’est un endroit très vert, qui fait penser à notre côte sur la mer Noire, où l’on ne sent pas du tout l’atmosphère de la guerre et où l’on aperçoit même des baigneurs sur les plages.”
“Des curieux s’étaient rassemblés le long du passage du convoi et saluaient notre président Erdogan, signe de sa proximité avec le peuple et de ses qualités de leader pour lesquelles il est admiré de tous”, renchérit le quotidien progouvernemental Sabah.
Au début de l’invasion de l’Ukraine, la Turquie s’était positionnée comme une force médiatrice, espérant même à l’époque réunir Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine à Istanbul pour un cessez-le-feu. Avant d’arracher il y a un peu plus d’un an à la Russie un accord sur les exportations de céréales en mer Noire. Le non-renouvellement de l’accord, dont la Russie s’est retirée le 17 juillet, était au cœur des discussions à Sotchi, mais “le sujet de la coopération économique entre les deux pays était au moins aussi important”, affirme le journaliste d’Hürriyet.
62 milliards de dollars
La question des échanges économiques entre les deux pays, qui ont explosé depuis le début du conflit en Ukraine pour atteindre 62 milliards de dollars annuels (près de 58 milliards d’euros), a ainsi été largement mise en avant dans la presse pro-Erdogan, le président russe renouvelant aussi sa promesse de faire de la Turquie un hub gazier destiné à faire transiter le gaz russe vers l’Europe.
“Il n’a pas été question de rembourser le gaz donné à crédit par Poutine, ni du financement de la centrale nucléaire russe bâtie en Turquie, autant de gestes de soutiens offerts par Poutine pendant la campagne électorale d’Erdogan, que l’on chiffre autour de 20 milliards de dollars”, souligne le journaliste spécialiste de politique étrangère Murat Yetkin sur son site internet Yetkin Report.
L’échec des négociations concernant l’accord sur les céréales, lui, n’est guère surprenant, estime le journaliste : “C’était prévisible, il aurait fallu un miracle pour parvenir à convaincre Poutine”, estime-t-il.
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L’issue de la rencontre est cependant largement commentée dans la presse internationale. “Le président turc est rentré lundi bredouille de Sotchi”, résume en Suisse Le Temps, alors qu’il “espérait convaincre son alter ego russe de ranimer l’accord”. Le quotidien va même un peu plus loin :
“La rencontre de Sotchi, demandée par la Russie, aurait dû se dérouler à Ankara. Poutine prend ainsi le risque supplémentaire de mécontenter un président turc, Recep Tayyip Erdogan, avec lequel les relations paraissent de plus en plus tendues et qu’il a fait venir ‘pour rien’ en Russie.”
Levée des sanctions occidentales
Sur le fond du sujet des céréales, le président russe a, dans un geste en forme de message aux pays africains, qu’il tente de gagner à sa cause, déploré que “seulement 3 % des céréales” russes et ukrainiennes qui transiteraient par la mer Noire en vertu de l’accord ne parviennent “aux pays pauvres”, souligne le média progouvernemental Aksam.
Poutine a ainsi proposé la livraison gratuite d’un million de tonnes de blé (soit moins de 1 % de la production russe annuelle, estimée à 123 millions de tonnes pour 2023), qui serait transformé en Turquie, financé par le Qatar puis livré à plusieurs pays africains.
La visite a en outre été l’occasion de mettre en avant la vitalité des liens diplomatiques entre Ankara et Moscou. “Les liens entre la Turquie et la Russie continuent de se renforcer”, a ainsi applaudi Sabah, qui s’est aligné sur le discours du président russe, imputant la sortie de l’accord sur les céréales au refus de l’Occident de lever une partie des sanctions qui frappent les exportations agricoles russes et son commerce maritime.
“Ce sommet de Sotchi a eu le mérite de couper court aux rumeurs selon lesquelles les relations entre la Russie et la Turquie seraient mauvaises et la Turquie se tournerait davantage vers l’Occident. Il n’en est rien, la Turquie continue à faire valoir au mieux ses intérêts et les relations bilatérales avec Moscou continuent comme avant”, a conclu Aksam.
Courrier international