Sans surprise, le président Erdogan est sorti vainqueur du second tour de la présidentielle turque, battant son opposant Kemal Kilicdaroglu. Le vrai vainqueur est le sentiment nationaliste turc apparu comme la véritable force de la Turquie actuelle. Par Pierre Haski sur France Inter du 29 mai 2023, pour écouter ici.
Pas de surprise en Turquie au second tour de la Présidentielle : l’avance du président sortant Recep Tayyip Erdogan au premier tour a été confortée hier.
La surprise avait eu lieu au premier tour, contredisant les sondages turcs et les analyses qui estimaient que le président, au pouvoir depuis vingt ans, allait être pénalisé par la crise économique profonde, et par le séisme de février dernier. Il n’en fut rien ou presque : Erdogan a dû subir un second tour pour la première fois, mais n’a pas été menacé par Kemal Kilicdaroglu, le candidat de l’opposition unie.
Le Président ainsi réélu ne manquera pas de faire valoir une victoire démocratique à ses détracteurs qui le qualifient d’autocrate. C’est faire peu de cas de la démocratie très peu libérale en vigueur en Turquie, dans laquelle le Président occupe les antennes des chaînes de télévision dans des proportions infiniment supérieures à ses rivaux ; des vidéos mensongères ont été diffusées dans les meetings électoraux du président, comme a fini par le reconnaître Erdogan lui-même ; et les prisonniers politiques sont légion, y compris le leader d’un parti d’opposition. Sans compter les promesses démagogiques de campagne, mais c’est un classique.
Il n’empêche, Recep Tayyip Erdogan a gagné – et cette victoire ne peut lui être enlevée. On peut en tirer trois leçons. La première est qu’effectivement, dans les démocraties illibérales, il devient difficile de battre le parti au pouvoir à la loyale. Ce n’est pas impossible, comme l’a montré la défaite de Bolsonaro au Brésil, mais ça demande une mobilisation plus grande que dans un système plus ouvert. Les oppositions démocratiques dans ces pays devront en tirer les enseignements.
La seconde leçon, c’est le poids du courant ou plutôt de la sensibilité nationaliste, qui transcende les clivages politiques. Recep Tayyip Erdogan et ses alliés ont su l’incarner.
Au fil des années, Erdogan a donné à la Turquie une posture internationale surdimensionnée, au risque de se froisser avec ses alliés et partenaires ; il a offert aux Turcs des raisons de fierté nationale, comme avec le succès du drone de combat Bayraktar ; et il a su réactiver des mythes nationaux puissants comme ceux de l’empire Ottoman.
Ce sentiment nationaliste s’est révélé plus fort que les morsures de l’inflation ou la révélation de la corruption par l’ampleur des dégâts du séisme de février. Et il a contaminé le candidat d’opposition qui a fait de la surenchère nauséabonde sur le dos des près de 4 millions de Syriens en Turquie.
La troisième leçon, c’est qu’il va falloir compter avec Erdogan encore des années ; avec ses ambiguités et son imprévisibilité. Sa présence se fait sentir sur plusieurs fronts : membre remuant de l’OTAN, le seul à avoir gardé une ligne ouverte avec Vladimir Poutine, acteur important de conflits régionaux comme celui qui oppose l’Azerbaidjan à l’Arménie, ou encore dans la crise interne en Libye.
Les pays occidentaux espéraient un dirigeant plus prévisible en Turquie ; il va leur falloir vivre avec un Erdogan que la victoire peut rendre plus imprévisible que jamais.