« Gülşen Bayraktar Çolakoğlu, surnommée la Madonna turque, est assignée à résidence depuis le 29 août pour avoir plaisanté sur les lycées religieux. L’affaire a occupé la « une » des journaux turcs durant une semaine. Pour l’opposition, il s’agit d’une manœuvre politique à quelques mois de la présidentielle » rapporte Sevin Rey-Sahin dans Le Monde du 31 août 2022.
Une star placée en détention
« Il est pervers parce qu’il a fréquenté un lycée religieux », plaisantait la chanteuse turque Gülşen Bayraktar Çolakoğlu en parlant de l’un de ses musiciens pendant un concert, le 30 avril. Le 25 août, la vidéo était publiée sur les médias progouvernementaux, provoquant l’ire des milieux conservateurs, jusqu’au porte-parole du gouvernement Ömer Çelik. Le jour même, à la suite d’une procédure express, la pop star de 46 ans a été incarcérée à Istanbul pour incitation à la haine. Après quatre jours de détention, elle a été assignée à résidence. Elle s’est excusée pour « cette blague entre collègues », tout en dénonçant une polémique visant à « polariser la société ».
Une défenseuse des homosexuels
Les médias conservateurs se sont félicités d’une « décision exemplaire ». « C’est toi la perverse », titrait le quotidien Yeni Akit, qui la qualifiait d’« exhibitionniste », « promouvant l’homosexualité ». « Que quelqu’un arrête cette femme », avait déjà titré le quotidien le 13 août, le lendemain d’un concert à Istanbul où elle avait hissé le drapeau LGBT. Quelques jours plus tard, Yeni Akit publiait une liste de chanteurs « pro-LGBT ». Ces attaques envers les artistes laïcs se multiplient, à moins d’un an de l’élection présidentielle. Quatorze festivals ont été annulés ces quatre derniers mois par les autorités locales. Dans l’opposition, le Parti républicain du peuple voit dans ces interdictions une façon de s’attirer les votes d’un électorat conservateur déçu par la gestion de la crise économique par le Parti de la justice et du développement au pouvoir.
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Une cible pour les islamistes
Baptisée « la fille en pyjama » après un de ses premiers clips dans lequel elle déambulait en pyjama d’homme dans les rues d’Istanbul, Gülsen a été découverte par un couple de producteurs en 1996, alors qu’elle se produisait dans un bar. La jeune chanteuse fait la « une » de la presse people avec ses mariages éclair, ses relations avec des producteurs mariés ou encore ses déboires avec ses maisons de disques. En 2004, son titre Of… Of… est élu chanson de l’année. Et le clip de Sarişinim (« ma blonde »), dans lequel la pop star s’affiche en robe transparente, est censuré par le CSA local. Gülşen devient une cible pour les islamistes et une icône pour les laïcs.
Une nudité assumée
Si cette mère d’un garçon de 5 ans exprime ses positions laïques dans certains de ses tweets, ce sont ses tenues qui l’affichent en femme libre. Pantalons en dentelle laissant voir ses strings, ventre dénudé… Gülşen est la nouvelle Madonna turque. Cette nudité assumée est presque politique dans le pays d’Erdoğan. En 2018, lors d’un concert à Ordu (au bord de la mer Noire), elle a invité le présentateur qui lui avait demandé en privé de « remonter ses socquettes avant que le maire arrive », à répéter « ses propos honteux » devant 65 000 spectateurs. Le 13 août, à ceux qui critiquaient son soutien-gorge rouge et son pantalon moulant, elle recommandait de « lâcher les seins des mères car il existe d’autres sujets dont il faut avoir honte ».
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Le Monde, 31 août 2022, Sevin Rey-Sahin