L’ultranationaliste, qui a remporté 5% des voix au premier tour, ne s’est pas encore prononcé sur son choix en vue du second tour. Le report de ses voix peut être décisif. Par Zoé Aucaigne sur France Info du 16 mai 2023.
Tous les regards sont désormais tournés vers lui. Depuis le premier tour du scrutin, dimanche 14 mai, Sinan Ogan n’est plus dans la course pour occuper le fauteuil présidentiel turc. Celui qui a réuni 5,3% des votes n’a pas fait le poids face au président sortant, Recep Tayyip Erdogan (49,5%), et au chef de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu (44,9%), qualifiés pour un second tour inédit dans le pays. Les deux rivaux, qui seront départagés le 28 mai, sont au coude-à-coude, ce qui fait de Sinan Ogan le potentiel faiseur de roi de l’élection par le jeu du report de voix.
Pour l’heure, le candidat qui représentait l’Alliance ancestrale (ATA) ultranationaliste n’a pas appelé à voter pour l’un des deux finalistes. « Nous allons consulter les partis politiques qui composent l’Alliance ATA (…) et nous prendrons finalement une décision », a annoncé Sinan Ogan lors de sa première allocution après les résultats, ajoutant qu’il y aurait « encore 15 jours difficiles devant [lui et ses partisans]« . Quelles sont les revendications de ce politicien dont les voix pourraient être cruciales dans l’issue de l’élection ? De quel candidat est-il le plus proche sur l’échiquier politique ? Eléments de réponse.
Un ancien membre du parti d’extrême droite MHP
Agé de 55 ans, ce diplômé en administration des affaires d’origine azerbaïdjanaise est un dissident du Parti d’action nationaliste (MHP), classé à l’extrême droite et désormais allié au Parti de la justice et du développement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan, rapporte la BBC (article en turc). Le MHP est notamment connu pour ses positions anti-kurdes et sa branche armée, les Loups gris. En 2011, Sinan Ogan entre au Parlement sous l’étiquette de cette formation. Mais à partir de 2015, il marque son désaccord avec le secrétaire général du parti, Devlet Bahçeli. Il lui reproche particulièrement le rapprochement du MHP avec le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, auquel Sinan Ogan s’oppose.
Après quitté puis réintégré le MHP à plusieurs reprises, cet ultranationaliste est définitivement exclu du parti en 2017. Il décide alors de faire cavalier seul et de se présenter aux élections suivantes sans parti. Il reçoit toutefois le soutien de l’alliance ATA, qui regroupe quatre formations aux positions nationalistes, dont le Parti de la victoire, le plus important de la coalition. « Son leader, Ümit Özdag, a exprimé dans le passé son opposition à un rapprochement avec Erdogan », rappelle Max-Valentin Robert, chercheur en sciences politiques à l’université de Nottingham (Royaume-Uni). « Je vois mal le Parti de la victoire appeler à voter pour le président sortant. »
Un ultranationaliste anti-kurde et opposé à l’immigration
Sinan Ogan partage néanmoins avec Recep Tayyip Erdogan son rejet de la minorité kurde. Dans son allocution après les résultats, le candidat battu a rappelé que « depuis le premier jour, [son camp avait] pris position contre des partis comme le Parti démocratique des peuples (HDP) », une formation de gauche pro-kurde qui a apporté son soutien à Kemal Kiliçdaroglu. Interrogé par le média allemand Der Spiegel après l’élection, Sinan Ogan a posé comme l’une des conditions pour soutenir l’outsider du scrutin « l’exclusion du HDP du système politique », rapporte le journaliste du Spiegel Maximilan Plopp.
De son côté, Kemal Kiliçdaroglu ne s’est pas épanché sur la question kurde. Le chef de file de l’opposition plaide pour l’apaisement avec cette minorité et a promis en cas de victoire la libération du leader du HDP, Selahattin Demirtas, emprisonné en 2016. « Sigan Ogan accuse l’alliance de l’opposition de s’être acoquinée avec les Kurdes », pointe Samim Akgönül, directeur du département d’études turques de l’université de Strasbourg. « Kiliçdaroglu se retrouve tiraillé : s’il droitise son discours, il va perdre le soutien kurde, mais s’il conserve la même ligne, il ne va pas gagner ce soutien de l’extrême droite ».
Autre variable qui jouera dans le choix de report de voix de l’ultranationaliste : la lutte contre l’immigration. Durant la campagne, Sinan Ogan proposé le renvoi des plus de trois millions de réfugiés syriens qui vivent sur le sol turc.« Ce que je veux est clair, c’est le départ des Syriens. Tous les réfugiés doivent rentrer chez eux. Le candidat qui est d’accord avec cela et qui met cette politique en pratique, je voterai pour lui », a-t-il assuré lors de sa conférence de presse.
Le candidat de l’opposition Kemal Kiliçdaroglu prône une normalisation des relations avec le dirigeant syrien Bachar al-Assad pour renvoyer rapidement les réfugiés en Syrie. Si Recep Tayyip Erdogan a le même projet, « il est tenu responsable de la situation par ceux qui sont contre la présence des réfugiés », précise Samim Akgönül.
La défense d’un nationalisme laïc
Enfin, contrairement à Erdogan, Sinan Ogan apparaît comme la figure d’un nationalisme laïc, et non islamiste. « Il vient d’une droite très méfiante de la droite islamiste, qui projette la Turquie dans le monde turcophone, plutôt que dans le Moyen-Orient, comme le fait Erdogan », pointe Max-Valentin Robert. En ce sens, il se rapproche de Kemal Kiliçdaroglu, qui défend le principe de laïcité.
Il est donc difficile de prévoir pour qui Sinan Ogan va appeler à voter en se basant sur sa proximité idéologique avec les derniers candidats en lice. Pour faire pencher la balance, il est aussi susceptible de négocier de futurs postes politiques clés. Interrogé par la journaliste Bahar Feyzan sur sa chaîne YouTube trois jours avant le scrutin, Sinan Ogan a donné le ton : « Nous ne serons pas des partenaires gratuits. Nous aurons des demandes, comme des ministères ».