« Quelques mois avant l’élection présidentielle, le parti CHP, leader de l’opposition, est accusé par le président Erdogan de vouloir interdire le port du voile s’il est élu. Ce parti laïc vient de proposer une loi pour le garantir » rapporte Marie-Pierre Vérot dans Franceinfo du 18 octobre 2022.
Cela peut paraître étonnant. C’est à travers un parti laïc que la question du port du voile réapparaît dans le débat public en Turquie. Kemal Kiliçdaroglu, qui dirige le parti CHP, kémaliste et laïc, vient en effet de proposer une loi pour garantir le port du voile. Il a beaucoup surpris, même au sein de son propre parti. Une prise de position qui peut s’expliquer par le contexte pré-électoral en Turquie.
Le pays s’apprête à vivre des élections présidentielle et législatives en juin prochain. Et le président Erdogan est pour l’heure distancé dans les sondages par une coalition de six partis d’opposition, menée par le parti CHP. Pour remonter dans les sondages, Erdogan fait donc feu de tout bois : il diabolise le CHP et répète à l’envie que si ce dernier l’emporte en juin prochain et accède au pouvoir, il va de nouveau interdire le voile.
Erdogan encore plus offensif
Le voile a en effet été interdit sous Kemal. C’était même l’une des premières décisions du fondateur de la République Mustafa Kemal Atatürk, il y a presque 100 ans. Pas de voile si l’on souhaite travailler dans le secteur public, l’administration, la justice, les hôpitaux voire étudier à l’université ou aller à l’Assemblée nationale. Un changement assez brutal dans un pays musulman. C’est l’AKP du président Erdogan qui a levé cet interdit, il y a une dizaine d’années.
À présent, il insinue que le CHP veut revenir sur ce qu’il présente comme une avancée pour les femmes voilées. Kiliçdaroglu a donc voulu couper court aux rumeurs, avec sa proposition de loi pour le voile. C’est un geste, certes paradoxal pour un parti laïc, mais un geste électoraliste afin de ne pas perdre les voix des régions conservatrices.
Le président Erdogan a repris la balle au bond et propose d’aller plus loin. Il veut modifier la constitution pour garantir le droit de porter le voile. Et par la même occasion de revoir certains articles afin de protéger l’institution de la famille, qui est selon lui l’union d’un homme et d’une femme. Erdogan en profite pour donner un tour plus restrictif à la Constitution et pour galvaniser sa base. Finalement, certains disent qu’en voulant conforter sa place, le chef de l’opposition a surtout fait un cadeau en or au président.
Franceinfo, 18 octobre 2022, Marie-Pierre Vérot