La Croix, 15 juillet 2021, William Gazeau
Cinq ans jour pour jour après le coup d’État manqué contre le président Recep Tayyip Erdogan, la traque des partisans de Fethullah Gülen se poursuit en Turquie, comme en dehors du pays. Une chasse aux sorcières qui a affaibli l’influente confrérie, sans l’éradiquer totalement.
Il les pourchassera « jusqu’à ce que son dernier membre soit mis hors d’état de nuire ». Telle est la promesse faite parRecep Tayyip Erdogan à son groupe parlementaire mercredi 14 juillet. Dans le viseur du président : les membres du mouvement du prédicateur Fethullah Gülen. La confrérie islamiste, accusée d’avoir fomenté le coup d’État du 15 juillet 2016, fait l’objet d’une traque sans relâche. Poursuivi partout sur la planète, le mouvement a perdu en influence et opère de plus en plus dans la clandestinité. Sans avoir totalement disparu.
« Les dernières paroles d’Erdogan prouvent que les réseaux gülenistes sont toujours actifs », remarque Jean Marcou, enseignant-chercheur à Sciences-Po Grenoble. Alliée à Erdogan jusqu’au début des années 2010, la confrérie était présente dans tous les corps de l’État, en particulier la justice, l’administration et l’armée. Elle avait aussi utilisé cette proximité avec le pouvoir pour s’implanter à l’international et servir le soft power turc.
Réseau international
Elle s’est ainsi bâti un réseau d’écoles, d’hommes d’affaires, de médias ou encore d’associations culturelles et humanitaires dépassant largement le cadre des frontières turques. L’organisation est présente dans « environ 120 pays », selon Gabrielle Angey, spécialiste de l’islam en Turquie et auteure d’un article pour le Centre de recherches internationales de Sciences-Po, titré « Après le coup d’État, l’état du réseau Gülen hors de Turquie ».
Depuis le putsch de 2016 – et même dès 2013 – la confrérie fait face à une véritable chasse aux sorcières. En Turquie, Erdogan et son parti, l’AKP, ont entrepris des purges massives au sein de l’appareil d’État pour évincer les partisans de Fethullah Gülen. Selon les chiffres de l’AFP, plus de 100 000 personnes ont été limogées des institutions publiques au cours des cinq dernières années. 23 000 soldats ont été contraints de quitter l’armée tandis que 4 000 magistrats ont été renvoyés. Les gülenistes sont réduits à la plus stricte clandestinité. « Toutes leurs structures ont été détruites, indique Jean Marcou. Un simple soupçon d’appartenance à la confrérie vous conduit tout droit en prison. »
La guerre des écoles
Leur situation n’est pas forcément meilleure à l’étranger. En Afrique, de nombreuses écoles de la confrérie ont été reprises en main par la Maarif, une fondation éducative à la botte de l’AKP. D’autres établissements scolaires et culturels sont contraints de fermer, les financements venant de Turquie ayant été coupés.
« En Afrique, dans les Balkans ou en Asie centrale, Ankara est assez influente pour obliger les gouvernements locaux à se désolidariser des gülenistes », explique Jean Marcou. Ankara n’hésite pas non plus à utiliser la manière forte. Le 31 mai dernier à Bichkek, la capitale du Kirghizstan, Orhan Inandi, un ressortissant kirghiz d’origine turque affilié à la confrérie, disparaît. Le 6 juillet, les autorités turques confirment l’avoir capturé pour le juger en Turquie.
« Dans ces pays-là, l’organisation ne peut plus développer d’activités officielles », observe le chercheur.
Généralisation des purges
La traque est plus difficile en Europe et aux États-Unis. La Turquie ne dispose pas de moyens de pression suffisants pour obliger les Occidentaux à leur livrer les membres de la confrérie. Les Américains refusent ainsi d’extrader Fethullah Gülen, qui vit en Pennsylvanie depuis 1999. L’affaire empoisonne les relations entre Ankara et Washington depuis le coup d’État de 2016.
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Il est désormais difficile de mesurer ce qu’il reste de l’influence de la confrérie, de plus en plus contrainte à la clandestinité. Jean Marcou tient cependant à replacer la stratégie d’Ankara dans un contexte plus large, celui de « la chasse aux gülenistes (qui) permet au pouvoir turc d’assimiler tous les opposants à des ennemis de l’État, qu’ils soient réellement gülenistes ou non. Elle légitime la généralisation des purges ».