« Qui d’Erdogan, Jinping, Khamenei ou Poutine perdra sa place cette année ? Les uns subissent une impopularité grandissante, les autres des défaites et humiliations à la chaîne, souligne Bernard Guetta » dans Libération du 10 janvier 2023.
Ces deux mots-là ne passent pas mes lèvres car enfin, «Bonne année» ? Comme peut-on se souhaiter une bonne année après un tel début brésilien et quand nous savons tous que 2023, ce sera la poursuite de la guerre en Ukraine, des pendaisons en Iran, des ravages du Covid en Chine et du reste, tout le reste, sans même parler de la précipitation du dérèglement climatique ? Alors «Bonne année», non, vraiment pas, sauf que… je n’ose ni le penser ni l’écrire mais il n’est plus impossible que les grands despotes du moment ne soient plus tous en place l’an prochain. Lequel, je ne sais pas, mais il n’est même pas totalement exclu qu’ils soient plusieurs à avoir perdu le pouvoir car prenons Recep Tayyip Erdogan.
Présidentielle et législatives, la Turquie vote en juin prochain alors que l’inflation y a déjà dépassé les 120% et que «le sultan», comme on dit, la nourrit obstinément à coups d’augmentations de salaires et de programmes de logements sans financements. Son impopularité grandit sans cesse et si Xi Jinping n’a, lui, pas d’urnes à affronter, il a dû se déjuger face aux manifestations contre sa politique du zéro Covid.
Plus de confinements de masse, plus de tests à toute heure, plus rien, et l’épidémie a donc pris de telles proportions qu’on ne compte plus les morts dans un pays où la croissance recule, le virus gagne les campagnes et la faillite du secteur immobilier perdure.
«Guide suprême» iranien, Ali Khamenei a, quant à lui, si peu de cartes politiques en main qu’il ne lui reste plus que les gibets pour intimider sa population et la situation de Vladimir Poutine est encore bien plus fragilisée que celle des trois autres. Parce qu’il n’essuie plus que défaites et humiliations depuis le 24 février, le président russe n’est plus qu’un funambule marchant sur un fil mais l’idée reçue est pourtant qu’il ne pourrait pas tomber car «il n’y a pas d’opposition».
En Chine, le roi est nu
C’est vrai. Il n’y en a d’ailleurs pas non plus en Chine ou en Iran. Il n’y en a qu’en Turquie mais face à ces quatre despotes, il y a de plus en plus d’opposants car les Chinois voient bien que le roi est nu, les Iraniens ont massivement basculé dans le rejet de la théocratie, les sondages donnent Recep Tayyip Erdogan perdant et cessons de dire que personne ne s’attaquerait à Vladimir Poutine.
Quand le patron des groupes Wagner, Evgueni Prigojine, traîne le commandement militaire dans la boue, est-ce qu’il ignore que le commandant en chef n’est autre que le Président lui-même ? Evidemment pas. Il le sait et ne s’attaque au commandement que pour mettre, sans le nommer, le commandant en accusation, exactement comme le font ces correspondants de guerre et blogueurs militaires qui s’en prennent, en des termes toujours plus assassins, à la conduite des opérations en Ukraine.
Il n’y a plus d’opposition en Russie car il y a longtemps que Vladimir Poutine l’avait brisée mais la contestation y a gagné les sommets du pouvoir où chacun pose ses jalons en vue de la succession d’un tsar en fin de règne. Aucun de ces quatre hommes ne remplit ainsi plus les conditions qu’il faut à un tyran pour durer : avoir une base sociale et assurer une stabilité politique à son pays.
Faite des petits industriels pieux d’Anatolie et des laissés-pour-compte des grandes villes, la base sociale de Recep Tayyip Erdogan ne le croit plus à même d’améliorer son sort. Grande industrie, haute fonction publique et moyenne bourgeoisie urbaine, le reste du pays voit désormais en lui un facteur d’instabilité. Aux commandes depuis 2002, le président turc peut tenter de se maintenir par la force, la triche ou les deux mais ni l’armée ni même son parti ne le soutiendront à coup sûr. Il est en sursis précaire, exactement comme l’est Xi Jinping car à la minute même où la colère des Chinois deviendrait si grande que le régime pourrait en être ébranlé, le Parti sacrifierait son numéro 1 sans une seconde d’hésitation et au plus grand bonheur de tous ceux qu’il avait écartés de la direction.
En Iran, les Gardiens de la révolution ont un intérêt vital à empêcher une insurrection
Le Guide suprême iranien est le seul de cette bande des quatre à conserver une base sociale. Bras armé de la théocratie et première puissance économique du pays, les Gardiens de la révolution ont un intérêt vital à empêcher qu’une insurrection ne renverse le régime. Ils en ont les moyens militaires mais outre que tous ne jugent pas appropriée la violence de la répression, ils ne sont plus loin de penser que le meilleur moyen de conserver leur pouvoir serait de ne garder le Guide et la théocratie qu’en rideau de scène, de prendre le gouvernail et d’instaurer une dictature militaire.
Pour ce qui est enfin de Vladimir Poutine, son seul atout est que les prétendants à sa succession sont si multiples qu’aucun d’entre eux ne peut trop s’avancer sans risquer de coaliser tous les autres contre lui. C’est l’assurance-vie de ce Président mais elle le protège en fait peu parce que la Russie utile, celle des villes, des services et de la haute technologie, est en exil ou en complète dissidence ; que les services de sécurité ne peuvent plus voir en lui un garant de la stabilité ; que l’armée a toutes les raisons de lui reprocher de l’avoir précipitée dans une aventure dont elle ne voulait pas ; que seul un changement de régime pourrait sauver les grandes fortunes et que la seule base qui reste acquise à cet homme est la paysannerie, naturellement conservatrice mais sans poids dans ce grand sauve-qui-peut.
Alors finalement oui, peut-être, risquons un «Bonne année !», pour l’un d’entre eux au moins.
Libération, 10 janvier 2023, Bernard Guetta, Député européen, groupe Renew Europe, Photo/Mikhail Svetlov/Getty Images