Muharrem Ince, 59 ans, est l’un des quatre candidats en lice pour l’élection présidentielle turque qui se tient le 14 mai. La candidature de ce personnage, bien connu en Turquie, est toutefois vue d’un mauvais œil par l’opposition, qui craint de voir ses voix grignotées par ce dernier. Par France 24 du 5 mai 2023.
Vétéran de la politique, le verbe fort, énergique, connu pour avoir été l’agitateur du parlement turc, Muharrem Ince (prononcer « inedjé »), 59 ans, était réputé pour sa capacité à galvaniser les foules. Mais malgré l’investiture du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), le principal parti d’opposition en Turquie, il avait échoué à détrôner le président Recep Tayyip Erdogan lors de la présidentielle de 2018. Le réïs avait alors été réélu dès le premier tour du scrutin avec un peu plus de 52 % des voix, tandis que Muharrem Ince finissait deuxième, avec près de 30 % des suffrages récoltés.
Revanchard, l’ancien professeur de physique-chimie est de retour cinq ans plus tard pour le nouveau scrutin présidentiel du 14 mai, pour lequel le président Erdogan brigue un troisième mandat consécutif. Mais cette fois-ci, sa candidature est perçue comme une véritable épine dans le pied de l’opposition, selon des experts de la politique turque contactés par France 24.
« Obstacle pour le CHP et Kilicdaroglu »
L’opposition, qui s’est unie sous la houlette de Kemal Kilicdaroglu, voit d’un mauvais œil la candidature de Muharrem Ince car elle risque de mettre en péril une possible victoire contre le président Erdogan dès le premier tour.
« Si Ince obtient de bons résultats dans les sondages, autour de 4 % ou plus, (…) il pourrait empêcher Kilicdaroglu de remporter une victoire dès le premier tour le 14 mai, et forcer un second tour », indique Soner Cagaptay, directeur du programme de recherche turc au sein du Washington Institute. Selon lui, « l’intérêt d’Erdogan est de voir Ince s’élever ».
Un véritable défi pour Kemal Kilicdaroglu, ancien haut fonctionnaire de 74 ans soutenu par les six principaux partis d’opposition, dont le sien : le CHP. Ce vétéran de la vie politique turque peut également compter sur le soutien du parti prokurde HDP (Parti démocratique des peuples) – troisième force politique du pays– qui a appelé à voter pour lui le 28 avril dernier.
Soner Cagaptay rappelle également que Kemal Kilicdaroglu et Muharrem Ince s’étaient rencontrés après que ce dernier a annoncé sa candidature, à la tête de sa propre formation, le Parti de la patrie (Memleket partisi), qu’il a fondé en 2021. Mais les deux rivaux ne sont pas parvenus à un accord.
« Dans le jeu politique », Muharrem Ince « apparaît comme un obstacle pour le CHP et (Kemal) Kilicdaroglu », renchérit Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Pour lui, « la candidature de Muharrem Ince, par son existence même, apparaît comme une candidature de division, puisqu’il dit lui-même qu’il faut en finir avec Erdogan ».
Un scrutin très serré
Le résultat du scrutin présidentiel s’annonce tellement serré que la moindre division du vote anti-Erdogan s’annonce périlleuse. Muharrem Ince pourrait notamment se faire entendre de la jeunesse turque, face aux âges avancés du président Erdogan et de Kemal Kilicdaroglu, âgés respectivement de 69 et 74 ans.
« La marque d’Ince est ‘ni droite, ni gauche’. Il séduit les électeurs qui votent pour la première fois » indique Soner Cagaptay, précisant que « 40 % de ses soutiens proviennent d’électeurs de la première heure ». Le spécialiste précise que « ce sont Ince et son style de politique centriste-populiste qui plaisent particulièrement aux jeunes ». Le 14 mai, 5,2 millions de primo-votants sont appelés aux urnes, soit 8 % de l’électorat.
Muharrem Ince est « quelqu’un qui compte, mais qui ne peut pas prétendre à la victoire. Il dispose d’une popularité assez réduite qui n’est pas comparable à celle de 2018 », nuance de son côté Didier Billion. Selon lui, la difficulté pour le candidat du Parti de la patrie, « c’est qu’on n’a pas beaucoup entendu parler de lui depuis la dernière élection présidentielle, et il n’a pas marqué la vie politique depuis cinq ans ».
Le président sortant, rompu aux campagnes électorales mais qui doit assumer la grave crise économique et les critiques sur la lenteur des secours, après le séisme du 6 février (plus de 50 000 morts), espère galvaniser sa base conservatrice dans la dernière ligne droite avant le double scrutin du 14 mai, présidentiel et législatif.
Dans ce contexte, Muharrem Ince peut faire trébucher l’opposition – même avec un très faible score. « Lorsqu’il s’est lancé (dans la campagne, NDLR), il était à 14-15-16 % au début. Maintenant, il est à 4-6 %. Mais à ce stade, il reste toujours très important dans le déroulement de la campagne », note Soner Cagaptay. C’est un homme politique qui « aime l’attention et les projecteurs, et il en a eu beaucoup, alors il va rester dans la course à la présidence », estime-t-il. « Nous verrons bien s’il sera un trouble-fête ou non ».