Le 14 mai, les Turcs se rendent aux urnes pour des législatives et une présidentielle qui s’annoncent très disputées. Le président Erdogan pourrait devoir tirer sa révérence après 20 ans au pouvoir. Les jeunes sont des acteurs clefs de ce scrutin. Ils représentent plus d’un quart de l’électorat. Pour l’écouter sur France Culture du 5 mai 2023.
De meeting en meeting, les deux candidats pour la présidentielle s’adressent aux jeunes, font des promesses, les interpellent. Ils savent que celui qui emportera leur adhésion a de grande chances de devenir le treizième président de la république de Turquie. Les jeunes représentent en effet plus d’un quart de l’électorat.
L’opposant Kemal Kiliçdaroglu n’a de cesse de les engager à aller voter. Il leur promet que la vie changera, il parle de liberté, de prospérité, d’attention à chacun. En marge de l’un de ses meetings à Trabzon, sur les rives de la Mer Noire, un fief de l’AKP du président Erdogan, les jeunes sont venus l’écouter. Plusieurs d’entre eux n’ont pas 20 ans et voteront pour la première fois. L’un se dit séduit quand Kemal Kiliçdaroglu parle de mettre un terme aux discriminations, un autre espère qu’il redressera l’économie, son camarade en a assez de l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques. Plusieurs avouent que leurs parents ne pensent pas comme eux et que cela crée des tensions à la maison.
« Erdogan les trompe avec la religion », raconte ainsi Celal, tout juste 18 ans : « Impossible de les convaincre. C’est ça qui compte pour eux, la religion, ils ne voient pas l’économie. Ils seraient prêts à ne manger que du pain.«
Ne plus avoir que du pain à manger… La viande est devenue un produit de luxe. Même le prix de l’oignon donne le vertige à de nombreux Turcs. Cette crise qui annihile toute capacité de penser à autre chose revient de manière lancinante chez toutes les personnes que nous rencontrons. Elle touche particulièrement les jeunes, premières victimes du chômage. Les étudiants tirent souvent le diable par la queue. C’est le cas de Jan que nous retrouvons attablé devant un çay, un thé, dans un petit café du centre d’Istanbul. C’est la crise économique qui le mine :
« C’est sûr, on n’a pas grand-chose d’autre à faire, on n’en a pas les moyens. On se retrouve comme emprisonnés, assignés à certains endroits. L’état de l’économie fait de nous des prisonniers dans nos propres quartiers. D’abord, c’était dans nos villes, il est impossible de toute manière de partir à l’étranger, et puis maintenant c’est dans nos quartiers. Moi, quand arrive la fin du mois, je ne peux quasiment plus rien faire. J’ai envie de poursuivre mes études mais je suis face à un dilemme : pour survivre, je dois travailler, mais je veux aussi finir mes études. Donc je suis coincé, c’est le mot. »
La vie à crédit
Comme tous les Turcs, Jan est endetté et achète même à crédit les produits du quotidien. Prêt étudiant, un autre pour payer la somme nécessaire à raccourcir son service militaire. 135 000 livres au total, plus de 6000 euros une somme extrêmement élevée pour la Turquie , sans capital pour rembourser. Il vit à crédit. Et il s’amuse d’avoir même dû prendre un crédit pour rembourser ses dettes auprès de la banque.
« Les gens essayent de s’en sortir comme ils le peuvent », poursuit-il : « Je pense que la situation réelle dans laquelle on se trouve est bien pire que ce que les données macroéconomiques laissent deviner. C’est assez incroyable, ce n’est pas quelque chose que l’on a connu avant. On a déjà dû subir des taux d’inflation élevés dans l’histoire de la Turquie, mais la période qu’on traverse est beaucoup plus intense et cruelle.«
Alors cette élection, c’est pour lui le moment ou jamais de renverser la table. L’opposition s’est unie pour la première fois. Elle est certes hétéroclite, alliant conservateurs musulmans, ultranationalistes, laïcs, anciens proches du président… ce qui interroge sur sa capacité à s’entendre pour gouverner si elle l’emporte. Mais pour Jan, le plus important est d’en finir avec Recep Tayyip Erdogan.
« Bien sûr« , reprend Jan, « lorsque l’on considère toutes les difficultés auxquelles on est confrontés, on peut dire que ces élections sont une question existentielle. Moi, je soutiens Kemal Kiliçdaroglu. Nous serons derrière lui, nous voterons pour lui. On a besoin d’un changement, c’est flagrant. On a besoin d’une transformation politique, sociale et économique. Je ne suis pas sûr qu’il puisse réaliser tout cela. Mais pour l’instant, je peux dire que je suis ‘en partie’ satisfait de la campagne de Kiliçdaroglu. Et c’est certain que je voterai pour lui aux présidentielles… Mais comme position politique personnelle, je peux dire que je limiterai mon soutien à ces élections et je le reconsidérerai à la lumière de ce qu’il adviendra. »
C’est donc pour lui, comme pour tant d’autres jeunes, un vote « contre » plutôt que « pour ». Il estime que les jeunes sont, tout comme lui, fatigués, épuisés par ce régime.
Kemal Kiliçdaroglu qui porte ses espoirs promet l’apaisement, la réconciliation. Quand le président polarise, il annonce un nouveau printemps.
La rhétorique de la grandeur
Conscient qu’il faut séduire les jeunes qui représentent plus d’un quart de l’électorat, qu’il faut attirer les quelque 5 millions et demi de primo-votants, l’AKP, le parti du président, multiplie les initiatives. Nous retrouvons les jeunes militants et sympathisants du parti présidentiel dans le quartier de Kasimpasa, celui où est né Erdogan. Nous sommes en plein ramadan. Ils organisent alors des distributions de nourriture à l’heure de la rupture du jeûne.
Le chef du corps de jeunesse de l’AKP dans le quartier Emre Bozkus tient à faire passer le message :
« L’opposition n’est pas capable de faire ça. Ils ne pensent pas aux jeunes comme nous. Regardez, aujourd’hui on a organisé une distribution pour la rupture du jeûne. Ce sont nos jeunes qui sont venus comme volontaires. Chez nous, on éduque une jeunesse responsable qui vient aider ses concitoyens, ceux qui ne seront pas à l’heure chez eux pour rompre le jeûne. Et ça, c’est grâce à Recep Tayyip Erdogan. »
« On organise aussi les anniversaires pour nos amis qui vont voter pour la première fois, c’est-à-dire qui fêtent leurs 18 ans », ajoute-t-il. « Notre Président nous l’a dit : Allez fêter l’anniversaire de nos jeunes, et saluez les de notre part ! » Le Reis, comme l’appellent ses fidèles, reste une référence incontournable pour ces jeunes AKP du quartier.
« Notre Président a commencé la politique ici. Il est né et a grandi dans ce quartier« , raconte Emre : « Et aujourd’hui, il est en position d’être un leader pour le monde. On l’appelle comme ça : un leader de classe mondiale, notre président. L’habitant de Kasımpaşa, parce qu’il a du caractère et des principes, on dit que c’est un bagarreur, un dur, mais en fait c’est quelqu’un qui a des principes. Être de Kasımpaşa, c’est ça. C’est une attitude, des principes. C’est tenir tête à l’oppresseur et être aux côtés de l’opprimé.«
La rhétorique de la grandeur prend. Une frange importante de la population, nationaliste, est sensible à la puissance de la Turquie qu’aime à exalter le président turc.
Dans la zone industrielle du grand Istanbul, à une soixantaine de kms du centre-ville, dans l’usine du constructeur automobile Anadolu Isuzu, nous retrouvons Ismail. Electricien de formation, il a 27 ans et travaille dans le secteur « recherche et développement » de l’entreprise depuis 3 ans. Il nous a donné rendez-vous dans le local syndical du DİSK, la confédération des syndicats révolutionnaires de Turquie :
« Moi, personnellement, je suis satisfait du gouvernement. Ce qu’ils ont fait, ce qu’ils feront. Ils respectent les promesses qu’ils font. C’est vrai, il y a une crise économique, mais c’est une crise mondiale, c’est à cause du coronavirus. Je pense que cela va aussi s’arranger. Recep Tayyip Erdogan, je ne sais pas trop ce qu’il propose pour les jeunes, mais ce qui est important c’est qu’il a une posture forte à l’étranger, comme à la maison.«
Tanju secoue la tête. Il n’est pas d’accord. Lui a tout juste 20 ans. Il a été embauché il y a 8 mois comme électro-mécanicien. Ce sera la première fois qu’il vote, mais il n’est pas très enthousiaste. Pourtant, les deux candidats multiplient les promesses aux jeunes : des bourses, le retour de la méritocratie au lieu du favoritisme, la suppression de la taxe sur le téléphone portable, sur l’achat de la première voiture, des prêts pour les familles. Des propositions avancées par l’opposition que le président Erdogan s’est empressé de reprendre à son compte.
« Honnêtement« , dit-il, « je ne sais pas qui choisir. En fait j’aurais préféré ne pas avoir à voter. On a peu de choix. J’ai l’impression que quel que soit le résultat on n’aura toujours pas d’avenir. La situation ne peut qu’empirer. Je ne me reconnais dans aucun des candidats. Je pense que quoi qu’il arrive, le futur de la Turquie ne sera pas meilleur qu’aujourd’hui. »
Lui aussi cherche à quitter le pays. « Je voudrais aller en Allemagne », ajoute Tanju, « ma famille pense comme moi. Mes parents font tout leur possible pour que j’aie les moyens de partir. Ils me disent même : « Pars si tu le peux, et ne reviens pas !«
Le rêve du départ
Le départ, quelle que soit leur classe sociale, les jeunes Turcs l’ont tous dans un coin de la tête. Les jeune diplômés fuient, c’est une véritable hémorragie. Parmi ces jeunes qui ont du mal à s’imaginer un avenir, les Kurdes sont, selon les études de l’institut Rawest, la population la plus malheureuse de Turquie. Ils ont le plus fort taux de chômage. En butte aux discriminations voire au racisme, grandis dans les violences des années 2015 et 2016, ils se sentent exclus de la scène politique. Ils détiennent pourtant, ces Kurdes, la clef des prochaines élections. Ils en espèrent la fin des discriminations et le respect des droits de l’homme.
Dans les faubourgs de Diyarbakir, dans le sous-sol de l’atelier de son père, Arjin retape une commode. Son diplôme d’électronique ne lui a pas permis de trouver un travail :
« La plupart de mes amis ont entamé des démarches pour partir en Europe. On ne gagne plus assez pour rester vivre ici, la majorité d’entre eux veulent partir à tout prix, que ce soit de manière légale ou illégale. J’en ai même un qui part la semaine prochaine. En fait, pour tous mes amis, comme pour moi, si on veut partir c’est pour réaliser nos rêves. Normalement, avec les études que j’ai faites, la faculté dont je suis diplômé, j’aurais dû trouver du travail sans problème. Mais ici, on ne peut pas se faire embaucher si on ne connait pas quelqu’un… Il nous est impossible de trouver un bon travail. Ici, l’être humain n’a aucune valeur, seul l’argent est roi.«
Roni Batté, lui, a quitté sa ville kurde, Batman, il y a une dizaine d’années pour Istanbul afin de poursuivre des études de dessinateur. Il a bien conscience que c’est aujourd’hui beaucoup plus difficile. « Aujourd’hui« , souffle-t-il, « les jeunes Kurdes attendent sans rien faire, pas de travail, pas d’argent pour partir plus d’intérêt pour les études. »
Et cela pour une bonne raison, selon Roni : « Aller à la fac, faire des études cela n’a plus aucune valeur. Car ce gouvernement considère les hôpitaux et les universités juste comme un business, des bâtiments à construire. Par exemple, moi, j’ai fait des études d’architecture. Eh bien, beaucoup d’architectes diplômés n’exercent pas leur métier, car les promoteurs passent pour des architectes et les vrais architectes n’ont plus leur mot à dire. C’est la même chose pour toutes les disciplines et du coup, moins de gens veulent faire des études. Ca s’est dévalorisé. On n’a pas l’impression que l’on gagnera plus d’argent, que l’on aura un meilleur statut social ou économique. Beaucoup d’ingénieurs diplômés de très bonnes facultés se retrouvent à travailler dans des supermarchés.«
Soif de liberté
A ce constat que partagent les jeunes étudiants turcs, s’ajoute la difficulté d’être Kurde aujourd’hui en Turquie. A Diyarbakir, la présence policière et militaire est assez lourde, les arrestations arbitraires n’ont pas cessé. Alors, ces élections, espère Roni, « pourraient être a minima l’occasion de desserrer l’étau« . Il rêve que la langue kurde puisse être enseignée, il voudrait un peu d’autonomie, et que des instituts culturels kurdes puissent voir le jour. Il regrette aussi que même si les Kurdes sont présentés comme des « faiseurs de roi » en raison de leur poids électoral (environ 15%), l’opposition ne leur ait pas consacré une ligne dans son programme.
Cette soif de liberté résonne sur les rives du Bosphore. Nilüfer nous reçoit dans son appartement de Kadiköy, à Istanbul. Elle a justement invité un ami kurde, Melik, pour nous parler de leurs espoirs et de leurs craintes à l’aube d’un scrutin si décisif.
Fille d’un magistrat, Nilüfer a compris très vite à quel point l’indépendance de la justice était menacée par Recep Tayyip Erdogan. Elle s’étonne de la naïveté qu’elle a perçue chez les Occidentaux dans ses premières années de pouvoir :
« J’ai passé mon enfance sous un régime qui était plutôt sympathique aux yeux des Européens, mais qui en fait était déjà un ennemi de la démocratie, qui voulait soumettre les institutions indépendantes. Et je trouve que ce n’est que récemment que tout le monde a perçu à quel degré ce régime-là est susceptible de nuire à la démocratie. On n’a plus d’institutions, on a un dictateur. »
Elle s’inquiète en particulier de l’alliance passée par le parti au pouvoir avec le Hüda Par, un parti islamiste fondé par d’anciens proches du Hezbollah.
« On a un régime », poursuit Nilüfer, « qui essaie de gagner des voix en coopérant avec un parti d’origine terroriste, qui ne respecte pas les droits des femmes, qui revendique qu’il veut instaurer la charia. Et cela m’inquiète. Les jeunes en Europe se battent pour de meilleures conditions, sociales, pour l’écologie, pour les droits des personnes LGBT… Mais ici, en Turquie, on débat toujours pour savoir si une femme a les mêmes droits qu’un homme, si elle partage la même humanité.«
Melik intervient : « Pour ce qui concerne la charia, je voudrais raconter ce que me disait mon professeur d’anglais. C’était un Iranien et il y a quelques années il m’a mis en garde. On parlait de la politique en Turquie et il m’a dit, ce que je vois ici, je l’ai vu il y a quelques années en Iran. Pour moi, c’était impossible que la Turquie prennent le même chemin que l’Iran ! Mais lui me disait : faites attention, chez vous cela arrive lentement. Vous allez voir un jour que la Turquie a changé. Et c’est vrai, je n’aurais jamais pensé que l’on pourrait interdire des concerts par exemple sous la pression de groupes religieux. Mais aujourd’hui je vois bien que l’on pourrait perdre beaucoup de choses que l’on possède encore. »
Et quand on lui demande ce qui a changé, la réponse fuse : « La liberté d’expression, bien sûr! C’est très important la liberté d’expression pour les pays comme la Turquie. Ici, c’est comme courir dans un champ de mines. En fait, vous ne pouvez pas courir et donc ça vous rend immobile.«
Retrouver ses droits perdus
Nilüfer intervient : « L’une des choses qui a vraiment changé ces dernières années, selon moi, c’est que les gens ont plus peur qu’auparavant. Ils pensent que s’ils s’expriment librement, ils seront peut-être condamnés ou licenciés. C’est assez claustrophobique, en fait. On ne peut échapper à cette chappe. Et les jeunes qui sont prometteurs, travailleurs, essaient tous de s’enfuir du pays. Pourtant, on aime notre pays, on préférerait ne pas avoir à le quitter. Mais il arrive un point où on voit bien qu’il nous faut partir.«
Nilüfer a postulé dans plusieurs établissements d’études supérieures à l’étranger, Melik aussi. « C’est le cas de chacun de mes amis« , ajoute-t-elle, « parce que si vous avez un idéal, si vous avez des rêves pour votre avenir, alors vous devez trouver un endroit où vous pourrez vous exprimer en toute liberté, vous habiller comme il vous chante. On ne demande pas grand chose, nous, les jeunes Turcs. On en est plutôt à avoir des revendications de jeunes des années soixante, En fait on se bat pour retrouver les droits que l’on avait il y a quinze ans. C’est à dire le droit de s’exprimer, le droit de manifester, le droit de changer le régime parce qu’on n’est pas même sûr qu’on aura une élection juste et libre. On a peur que notre gouvernement n’essaye de « voler » nos votes.«
Mais si l’opposition l’emportait, elle pourrait reconsidérer son désir de départ : « Si on avait un régime qui est pour la démocratie et qui nous rendait le régime parlementaire que l’on avait avant 2018« .
« En fait« , ajoute Nilüfer, « la plupart des jeunes qui étudient en Europe ou en Amérique en ce moment, veulent retourner dans leur pays. Entre nous, on se dit : on verra ce qu’on va faire après les élections. Les élections, c’est comme un ‘seuil’, pour nous. C’est ce qui va décider si on pourra vivre chez nous ou si le temps sera venu de partir. »
Nous prenons la route pour Eskisehir, en Anatolie centrale. Une ville connue pour ses festivals, sa politique culturelle. Une ville orientée « jeunes ». C’est l’heure de la répétition au théâtre municipal. Ici aussi, le raidissement du pouvoir, les restrictions des libertés inquiètent. Une jeune fille qui étudie l’économie veut bien nous parler, mais à condition de rester anonyme. « Je pense voter contre le gouvernement« , nous confie-telle, « mais l’opposition pourra-t-elle résoudre nos problèmes ? Remplir ses promesses ? Cela m’inquiète ! »
La crainte de violences
Elle na cache pas son anxiété : « J’ai peur aussi que le pouvoir actuel n’accepte pas sa défaite s’il perd dans les urnes. S’ils ne sont pas contents du résultat, il pourrait y avoir des troubles, des affrontements. C’est ce que je crains. Et puis, il y a la liberté d’expression. La moindre critique peut être considérée comme une ‘insulte’ contre la nation, le gouvernement ou le président. Malheureusement, on peut vous mettre en prison…C’est pas génial. Je regarde des vidéos d’autres pays et je vois que c’est différent de chez nous, ou du moins c’est ce qu’il me semble. Là bas, qu’on soit du gouvernement ou de l’opposition, chacun peut s’exprimer en toute liberté, quel que soit le sujet. Pas seulement sur la politique. Mais je ne vois pas cela dans mon pays. Et moi, je me censure, j’essaye de ne pas trop m’exprimer. Car j’ai peur. Je suis étudiante, je suis obligée de penser à mon avenir. »
« Parfois quand je suis sur les réseaux sociaux« , ajoute-t-elle, « j’ai envie de laisser des commentaires, parfois même des commentaires très critiques. Si je vois par exemple une déclaration d’un membre du gouvernement, je me dis : mais comment est-ce qu’ils osent dire un truc pareil ! Certains jeunes de mon âge réagissent. Je voudrais trouver le courage d’écrire tout ce que je pense comme eux, mais à chaque fois je me retiens. »
A quelques rues de là, d’autres jeunes se préparent à monter sur scène. Ils donnent un spectacle dans la soirée. A la pause, un échange s’improvise. Il y Tuana qui rêve de partir à l’étranger. Il y a son voisin dont la famille a tout perdu dans le tremblement de terre qui se veut optimiste et engage tous ses amis à s’inscrire pour aller voter. Il y a un professeur plus sceptique. Peu convaincu par le candidat d’opposition, il redoute que rien ne change. Et il y a sa collègue qui le gronde gentiment et se dit sûre que l’avenir réserve de belles promesses…