« Le président russe miserait sur une réélection en juin prochain de son homologue turc, qui joue l’équilibriste entre la Russie et l’Occident et entretient de très bons liens avec le chef du Kremlin. De son côté, Erdogan profite de l’afflux d’argent russe pour soutenir une économie aux abois, museler l’opposition et faire taire la grogne » rapporte Courrier International du 16 novembre 2022.
Le 12 novembre, à son retour d’une visite en Ouzbékistan à l’occasion d’une rencontre de l’Organisation des États turciques, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, n’hésitait pas à se faire l’avocat de Moscou : “La Russie est un grand pays, elle est soumise aux attaques sans limites de l’Occident, et des États-Unis en particulier. Face à ces attaques, elle montre actuellement sa résistance”, rapporte le média en ligne Diken.
Une déclaration qui peut surprendre dans la bouche d’un dirigeant d’un des pays de l’Otan, mais le président turc est devenu coutumier de ce genre de discours ces derniers mois. Ankara vend des drones à Kiev et refuse de reconnaître les zones annexées par la Russie, tout en ménageant Moscou sur le plan diplomatique et en refusant de rejoindre le train des sanctions internationales.
Cette “politique d’équilibre” revendiquée par Erdogan s’inscrit dans sa défiance de plus en plus ouverte vis-à-vis de l’Europe et des États-Unis, comme dans sa volonté, qu’il partage avec Moscou, de redessiner l’ordre international à son profit.
Une politique qui s’avère payante, alors que la Turquie est en pleine crise économique. Entre janvier et août 2022, ce ne sont pas moins de 28 milliards de dollars “d’origine inconnue” qui ont fait leur entrée en Turquie, sans que la Banque centrale puisse expliquer leur provenance, souligne le Financial Times.Une somme astronomique qui pourrait provenir en grande partie de Russie, et notamment d’oligarques désireux d’investir dans un pays “ami” ou d’y mettre une partie de leurs actifs à l’abri.
Gagnant-gagnant
Alors que la balance commerciale d’Ankara est largement déficitaire, du fait de l’écroulement de sa monnaie nationale, les exportations turques vers Moscou ont presque doublé. Lors de sa visite, fin octobre, Oliver Varhelyi, commissaire européen à l’élargissement, a fait part de son inquiétude concernant de possibles livraisons par les entreprises turques de systèmes électroniques et de haute technologie pouvant être utilisés pour l’effort de guerre russe, et a mis en garde Ankara, en menaçant même d’éventuelles sanctions économiques, rapporte le quotidien Cumhuriyet.
Alors que l’opposition turque a plusieurs fois condamné en des termes très fermes l’invasion russe de l’Ukraine, les espoirs de Poutine se portent sur la réélection d’Erdogan lors des élections du printemps 2023, estime la presse d’opposition turque.
Pour le média en ligne T24, le président turc peut ainsi espérer notamment un coup de pouce de Moscou pour sa facture de gaz hivernale. L’entreprise publique russe Rosatom a versé cet été plusieurs milliards de dollars à Ankara dans le cadre de la construction de la première centrale nucléaire turque, et Poutine a évoqué la possibilité de faire de la Turquie le nouveau centre de distribution du gaz vers l’Europe, rappelle le média.
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“Putin for Erdogan !”
Mais le jeu en vaut-il la chandelle ?
“Progressivement de plus en plus éloigné de l’Occident, Erdogan met ses œufs dans le panier de Poutine, non pas au profit des citoyens turcs, mais pour sa propre réélection, et c’est pourtant à nous qu’il reviendra de payer l’addition de cette politique au bout du compte”, s’inquiète une éditorialiste.
“Putin for Erdogan !” titre à son tour le quotidien Sözcü, qui s’étonne des démonstrations publiques et répétées d’affection entre les deux leaders, surprenantes venant d’un Vladimir Poutine d’ordinaire froid et qui évite la proximité physique avec ses interlocuteurs.
En plus des financements évitant à l’économie turque de sombrer, le quotidien s’interroge sur les modalités que pourrait prendre le soutien russe à la réélection d’Erdogan.
Rappelant l’expertise russe en matière de guerre de désinformation et le rôle que Moscou a pu jouer notamment lors des élections américaines de 2016, le journal s’inquiète de possibles “campagnes russes via les réseaux sociaux pour attaquer les futures candidatures de l’opposition face à Erdogan”.
Courrier International, 16 novembre 2022, Photo/Umit Bektas/Reuters