« La situation économique et l’état des libertés dans le pays conduisent de plus en plus de personnes à fuir la Turquie, par tous les moyens. Cela, jusqu’au Mexique, porte d’entrée vers les États-Unis ou le Canada » dit Courrier International du 7 novembre 2022.
La Turquie abrite un nombre très important de réfugiés – plus de 5,5 millions, dont 3,5 millions venus de Syrie, selon les chiffres des autorités turques chargées des questions migratoires.
Mais ces dernières années, à mesure que l’état des libertés se dégradait et qu’empirait la crise économique, nombre de citoyens turcs sont eux-mêmes devenus des candidats au départ vers l’Europe ou l’Amérique du Nord. Très importante de 1960 à 1990, cette émigration turque avait connu un creux dans les années 2000.
Si certains, étudiants ou diplômés dans des secteurs comme la médecine ou l’ingénierie informatique, obtiennent assez facilement des visas de travail leur permettant d’émigrer légalement, d’autres prennent des routes plus tortueuses.
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Le quotidien Birgün rapporte ainsi que, lors des cinq premiers mois de l’année 2022, 11 827 citoyens turcs ont été arrêtés par la police américaine tandis qu’ils franchissaient illégalement la frontière en provenance du Mexique, première étape pour émigrer aux États-Unis ou au Canada.
Le Mexique, qui accueille les citoyens turcs sans qu’ils aient besoin de visa et leur accorde un permis de séjour touristique de trente jours, est ainsi devenu leur porte d’entrée clandestine vers l’Amérique du Nord.
Prenant récemment la parole au sujet de ces vagues d’exilés, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est contenté de critiquer ceux qui “font le choix de quitter leur pays pour conduire une plus belle voiture, s’acheter un nouveau téléphone et aller plus souvent aux concerts”, rapporte le journal.
Hémorragie démographique dans les régions kurdes
Une partie importante des exilés turcs non diplômés provient des régions kurdes, où la situation économique est particulièrement mauvaise. Le quotidien Cumhuriyet s’est ainsi rendu à Hakkari, province qui compte la plus forte proportion de jeunes du pays, non loin des frontières avec l’Iran et l’Irak.
Faute de perspectives, ces jeunes partent vers l’ouest de la Turquie et, de plus en plus, à l’étranger. La ville de Hakkari, 280 000 habitants, en perd ainsi plusieurs milliers. Muharrem Tekin, président de la chambre locale des artisans, est désespéré :
“Il ne reste plus de commerces, plus de paysans, la ville est comme morte, les jeunes ont déserté les rues du centre-ville.”
Une polarisation et un autoritarisme croissant
Selon une étude de la Fondation Konrad Adenauer publiée en 2022, 73 % des Turcs entre 18 et 25 ans préféreraient partir vivre en Europe ou en Amérique du Nord, “s’ils en avaient la possibilité”, plutôt que rester en Turquie, souligne BBC Türkçe.
L’autoritarisme du pouvoir, qui va grandissant depuis 2015, provoque également des vagues de réfugiés politiques. Ainsi, 24 625 citoyens turcs ont officiellement déposé des demandes d’asile en Europe en 2021, selon l’Agence de l’Union européenne pour l’asile, rapporte Deutsche Welle Türkçe.
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“La Turquie est polarisée, divisée entre ceux qui bénéficient des largesses du pouvoir et ceux qui sont dans l’opposition”, estime un éditorialiste du quotidien d’opposition de droite nationaliste Yeniçag. Une situation qui, conjuguée au chômage et à la situation économique, crée une “fuite des jeunes cerveaux”doublée d’une “fuite des capitaux”.
Depuis plusieurs années, les Turcs les mieux lotis sur le plan matériel prennent aussi le large, se rangeant parmi les premiers ressortissants de nationalité étrangère à acquérir des biens immobiliers en Grèce et au Portugal. Deux pays qui accordent des visas de séjour de cinq ans aux particuliers achetant une maison d’une valeur minimale de 250 000 euros pour la Grèce et 500 000 euros pour le Portugal.
Courrier International, 7 novembre 2022, Photo/Pedro PARDO/AFP