« La Turquie n’attend plus rien de l’Union européenne ». C’est ce qu’a déclaré hier le président Erdogan. De quoi embraser les relations entre Bruxelles et Ankara, mais la Turquie reste un partenaire essentiel pour les 27.
Le 2 Octobre 2023, FRANCE INTER.
Recep Tayyip Erdogan a l’habitude de souffler le chaud et le froid mais voilà longtemps qu’il n’avait pas tenu des propos aussi virulents contre l’UE.
Le président turc s’est exprimé devant le Parlement, peu après un attentat contre le siège de la police à Ankara qui a fait deux blessés, revendiqué par le PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan.
« Nous avons tenu toutes nos promesses » mais les Européens « n’ont tenu aucune des leurs », la Turquie « ne tolèrera pas de nouvelles exigences au processus d’adhésion ». Fermez les guillemets.
On l’avait presque oublié mai ce processus d’adhésion à l’UE est toujours en cours. Il est toutefois « au point mort » depuis quatre ans, selon les mots du Conseil de l’Union européenne. Les négociations avaient été ouvertes en 2005. La même année que la Croatie. Croatie qui a rejoint l’UE il y a déjà dix ans. Pour la Turquie, la route vers Bruxelles est beaucoup plus longue, elle ressemble même aujourd’hui à une impasse.
Il faut dire que l’UE ne manque pas de motifs pour laisser la Turquie à la porte.
On pourrait d’abord ouvrir le débat sur la situation géographique de la Turquie, dont 97% du territoire se trouve en Asie. Un pays musulman, de 85 millions d’habitants. De quoi dénaturer le projet de l’UE aux yeux de beaucoup d’Européens.
Erdogan a souvent pris pour cible les dirigeants européens
Mais même en surmontant ces débats, il reste de nombreux contentieux. Après une période d’ouverture au début des années 2000, le régime d’Erdogan s’est beaucoup durci : affaiblissement de la justice, répression des opposants, restrictions des libertés (en particulier après la tentative de coup d’Etat de 2016), réforme constitutionnelle pour donner plus de pouvoirs au président… Erdogan a même envisagé de rétablir la peine de mort. On est loin des valeurs européennes.
L’UE voit aussi d’un mauvais œil la diplomatie agressive de la Turquie : Libye, Syrie, Haut-Karabagh… Elle déplore son activisme en Méditerranée où Ankara espère exploiter de nouvelles ressources d’hydrocarbures.
La Turquie continue à soutenir la partie nord de Chypre, un Etat uni aux yeux des 27.
Et d’une manière générale, Recep Tayyip Erdogan a souvent eu des mots durs pour les dirigeants européens. En 2020, il doutait de la « santé mentale » d’Emmanuel Macron, jugé hostile à l’islam.
Pourtant l’UE a besoin de la Turquie. D’abord sur le dossier de l’immigration. La Turquie accueille plus de trois millions et demi de réfugiés syriens. Ankara tolère leur présence, qui fait débat au sein de la population, en échange de l’aide européenne. Un accord utile pour les dirigeants européens.
L’UE est le premier partenaire commercial de la Turquie. Les deux parties ont tout intérêt à s’entendre pour réduire les droits de douane et faciliter les affaires. La Turquie joue aussi un rôle-clé en matière énergétique. Gaz et pétrole passent par son territoire.
Erdogan est un interlocuteur précieux dans de nombreuses crises, au premier chef l’Ukraine. Il sert de médiateur pour le commerce de céréales en mer Noire. Il est un des rares à parler encore à Poutine.
En juillet, il avait conditionné son accord pour l’adhésion de la Suède à l’OTAN à une reprise des négociations avec l’UE. Alors pourquoi Erdogan a-t-il haussé le ton hier ? Il n’a sans doute pas apprécié que l’UE critique la confirmation jeudi d’une peine de prison à vie pour l’homme d’affaires Osmane Kavala, figure de la société civile.
Mais l’UE doit continuer à dialoguer avec Erdogan, et au fond, la déclaration provocatrice d’hier est peut-être sa manière à lui de faire passer ce message.