Pour son quatrième long-métrage, Özcan Alper tend un miroir à la société turque. « Nuit noire en Anatolie » ou l’autopsie d’une société en mal d’avenir. Puissant.
France Info, le 14 février 2024
Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé ne serait purement pas fortuite et pourrait ne pas être le fruit d’une pure coïncidence. Özcan Alper est un réalisateur du réel. Il part de matériaux existants, des choses, vues, lues, observées dans son pays, la Turquie. Il a été marqué par un fait divers sordide : la disparition d’un étudiant parti travailler dans une ville « connue pour ses inclinations nationalistes ». Le père n’a reçu aucune aide dans sa recherche désespérée pour retrouver son fils. Pour son quatrième long-métrage, Özcan Alper tend un miroir à la société turque.
Nuit noire en Anatolie est comme un western des temps modernes. Ishak, interprété par un Berkay Ateş ténébreux et tourmenté, gagne sa vie en jouant du luth dans une boîte de nuit. Célibataire, solitaire, il se contente d’une vie toute simple. Il vit seul, il vit aussi dans le passé qu’il n’arrive pas à oublier. Un jour, il rejoint son village natal qu’il a dû abandonner soudainement pour se rendre au chevet de sa mère. Le passé meurt rarement, il revient au présent au moindre souvenir. Et les villageois ne veulent pas de cette mémoire, enfouie dans les méandres de la culpabilité. Alors, ils se montrent hostiles envers Ishak. Ils l’invitent à retourner dans sa ville. Le musicien doit leur faire face, mais aussi affronter son propre passé qui ne passe pas.
La loi du silence
À la mémoire, les villageois ont choisi l’oubli. Que s’est-il donc passé ? L’arrivée d’un jeune garde forestier bouleverse les équilibres fragiles et les intérêts tacites. Le village est en effervescence. Malgré lui, il va devenir une obsession et une cible. Son amitié fusionnelle avec Ishak suscite des remous. Le réalisateur suggère et ne montre rien. Il interroge l’altérité. Sa caméra fouille les paysages, les failles et les gouffres dans la région, comme on sonde les âmes. Une chose est certaine : Özcan Alper sait filmer. Ses plans sont une succession de tableaux, beaux à en devenir oppressants.
Où va donc la Turquie ? « L’histoire du film se déroule parmi des gens ordinaires, dans une petite ville de montagne. J’ai vu de nombreuses photographies représentant un tel environnement sous de nombreux régimes autoritaires à travers le monde. Ce qui me motive principalement et me pousse à réaliser ce film, c’est le processus politique qui constitue l’arrière-plan de l’histoire. Avec ce film, j’essaie de montrer comment les désirs réprimés par la société, la sexualité non exprimée, peuvent créer un climat de peur et de violence », explique le réalisateur. Nuit noire en Anatolie, autopsie d’une société fermée. Nuit noire en Anatolie, film puissant et efficace.
La fiche
Titre : Nuit noire en Anatolie
Réalisateur : Özcan Alper
Langues : Turc VOST français
Durée : 1h54
Distribution : Berkay Ateş, Taner Birsel et Sibel Kekilli
Date de sortie : 14 février 2024
Synopsis : Ishak vit seul dans la province d’Anatolie et gagne sa vie en jouant du luth dans une boîte de nuit. Un jour, il doit se rendre au chevet de sa mère, dans son village natal qu’il a dû quitter subitement sept ans auparavant. De retour dans son village, Ishak est alors confronté à l’hostilité de tous ainsi qu’aux tourments de son propre passé.
Affiche du film « Nuit noire en Anatolie » d’Özcan Alper. (BKM)