Alors que de plus en plus de jeunes Turcs sont intéressés par la perspective d’étudier en Europe, les critères économiques et la crainte de demande d’asile politique pénalisent leur demande de visa. Et leur rêve européen semble de plus en plus inaccessible.
Le 19 janvier 2024, Courrier International
Chamboulé par la pandémie de Covid-19, en 2020, le programme d’échanges universitaires européen Erasmus, créé il y a trente-six ans par la Commission européenne de Jacques Delors, s’est bien remis depuis. Mais les étudiants turcs, eux, ont de plus en plus de mal à accéder à ce programme qui permet, grâce à des octrois de bourses et à des partenariats entre universités, aux étudiants de partir vivre une année à l’étranger.
Pays candidat à l’entrée dans l’Union européenne depuis 1987, la Turquie fait partie des six pays non membres à être associés au programme. Mais, alors que de plus en plus de jeunes Turcs rêvent d’un avenir à l’étranger, l’accès au programme leur est de plus en plus ardu.
En dépit du système de bourses, le coût d’une année d’études en Europe est prohibitif pour de nombreuses familles, alors que la livre turque a perdu 62 % de sa valeur face à l’euro au cours de l’année 2023, rapporte le quotidien HaberTürk. Surtout, il est devenu très difficile aux citoyens turcs d’obtenir un visa pour les pays européens, alors même que la Turquie est le pays dans le monde qui comptabilise le plus de demandes, 728 000 pour l’année 2022. La crise économique que connaît le pays a fait chuter les revenus de la majorité de la population, qui ne remplit plus les critères matériels requis pour l’obtention du visa.
L’asile politique demandé par certains étudiants
Par ailleurs, alors que les chiffres de l’immigration clandestine comme le nombre de demandes d’asile provenant de Turquie explosent depuis quelques années en Europe, les institutions consulaires s’inquiètent : certains participants au programme pourraient être tentés de rester au-delà de la durée de l’année universitaire. “Pour la première fois, il y a désormais des étudiants Erasmus qui restent à la fin de leur année et à l’expiration de leur visa, et déposent par exemple des demandes d’asile politique”, explique ainsi Nikolaus Meyer-Landrut, chef de la délégation européenne en Turquie, dans une interview au quotidien Sözcü.
Le quotidien Cumhuriyet raconte, lui, l’histoire rocambolesque d’un groupe de lycéens et d’enseignants turcs en visite en Italie dans le cadre du projet Erasmus. L’un des étudiants, âgé de 17 ans, se serait éloigné du groupe sous le prétexte de se rendre aux toilettes. Constatant sa disparition, ses enseignants ont prévenu la police italienne, avant de recevoir un message du fugueur : “Ne me cherchez pas, je ne reviendrai pas.” Parti pour l’Allemagne, le jeune étudiant y a déposé une demande d’asile politique, rapporte le journal.
Un vrai parcours du combattant
Face à la hausse des demandes de visa et à un manque de personnel, les entreprises privées auprès desquelles les consulats européens sous-traitent les dépôts des candidatures se retrouvent débordées. Des escrocs n’ont pas hésité à s’engouffrer dans le dispositif, déplore une mère de famille dans une lettre publiée par le média en ligne T24. “On n’arrive même pas à trouver des rendez-vous en ligne pour déposer la demande avec nos enfants”, s’indigne-t-elle.
Des entreprises qui se présentent comme spécialisées dans le “conseil aux étudiants” auraient ainsi recours à des bots, des programmes informatiques automatisés leur permettant de réserver toutes les places de rendez-vous pour les revendre ensuite à prix d’or. “J’ai déjà acheté le billet aller-retour pour la Pologne pour que mon enfant puisse y faire son Erasmus, mais impossible d’avoir le visa, nous sommes désespérés”, conclut la mère de famille.