France Culture/Cultures Monde, Melanie Chalandon, 24 Mars 2021, image: AFP
« Contestant les cartes maritimes actuelles en Méditerranée et s’estimant lésée quant à son accès à la haute mer, des militaires turcs ont forgé dans les années 2000 une doctrine qui redonne à la Turquie toute sa puissance navale : la Patrie Bleue.
« Le contre-amiral Cem Gurdeniz est un homme à la retraite. Auteur et consultant, cet ancien haut-gradé de la marine profite aujourd’hui du prestige que lui confère son invention d’un concept de plus en plus populaire en Turquie : la Patrie Bleue.
Héritiers d’une tradition navale ancrée dans l’histoire militaire ottomane, les amiraux comme Cem Gurdeniz tentent d’alerter depuis une quinzaine d’années sur les menaces qui pèsent, selon eux, contre les intérêts turcs en Méditerranée et d’échafauder une réponse stratégique. Dans leur viseur : l’ennemi de toujours, la Grèce, dont ils contestent les frontières maritimes. Celles de ses îles notamment, dont certaines, à quelques kilomètres des côtes turques forment une muraille restreignant l’accès de la Turquie à la haute mer. »
« Le contentieux n’est pas nouveau. Mais la découverte, ces dernières années, de ressources gazières et pétrolifères en Méditerranée ainsi que la dégradation du contexte sécuritaire de la zone ont ravivé les craintes – et les appétits – de la Turquie. Reprenant à son compte le concept de Patrie Bleue, le Président Erdogan multiplie les provocations, forçant l’Union Européenne à s’engager sur ce dossier et accroissant le malaise au sein de l’OTAN, dont la Turquie est un pays membre. «
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« Doctrine nationaliste et nostalgique de l’empire Ottoman ou véritable stratégie d’avenir ? Que signifie vraiment ce concept de Patrie Bleue et comment s’est-il imposé dans les cercles du pouvoir ? Quels en sont les effets concrets sur les plans militaires et maritimes ?
« Il y a deux gros obstacles insurmontables à la Patrie Bleue. D’une part, le Traité de Lausanne, qui établit des frontières qui ne peuvent être modifiées que par la guerre ou le consentement. Aucun des deux n’est envisageable aujourd’hui. De l’autre, le droit de la mer. Les prétentions maritimes turques ne peuvent donc pas être légitimées aux yeux de la convention internationale, bien qu’elles existent. Aris Marghélis
« Il y a une vraie reconstruction de la confiance en soi de la Turquie, avec une réappropriation du hard power. Aujourd’hui la Turquie assume de nouveau d’être une puissance militaire. Dorothée Schmid
« Le focus du jour
La Turquie, un soft power efficace fragilisé par son changement de cap diplomatique
« La Turquie a abandonné la doctrine de la profondeur stratégique, savamment élaborée par l’ancien ministre des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu qui défendait une politique de bon voisinage avec l’étranger proche, pour adopter une attitude bien plus belliqueuse et revendicatrice sur la scène internationale. Elle a cependant conservé l’un des piliers de ce qui faisait la force de sa diplomatie dans les années 2000 : son soft power.
« Quels sont les relais de la diffusion de l’influence turque à l’international ? Quelles sont les zones ciblées par cette politique minutieusement orchestrée par les affaires étrangères turques ? Cette politique n’est-elle pas affaiblie par l’image impérialiste et néo ottomane que reflète désormais Ankara ?
« Durant les années 2000, la Turquie a veillé à se présenter dans le monde arabe, et ailleurs également, comme une puissance humanitaire, bienveillante et humaniste, qui privilégie la coopération sur le hard power. Jana Jabbour«
Une émission préparée par Lucas Lazo.