Dimanche 5 novembre, les partisans du CHP (le parti républicain du peuple), principale formation de l’opposition en Turquie, ont décidé de changer de cap en choisissant Özgür Özel comme nouveau président de leur parti. Ce député de 49 ans, inconnu sur la scène internationale et à peine plus sur la scène politique turque, a désormais la tâche de redonner un nouvel élan à ce parti formé il y a cent ans par le père de la République turque, Mustafa Kemal Atatürk, mais aussi de retisser des liens avec les autres formations de l’opposition.
L’évocation de son nom ne réveille pas de sentiment particulier. Özgür Özel, inconnu pour nombre d’experts de la politique turque, n’est pas un animal politique à proprement parler. Député et membre du CHP, le Parti républicain du peuple depuis 2011, et vice-président du groupe parlementaire du CHP à la Grande Assemblée nationale entre 2015 et juin 2023, ce pharmacien de profession, âgé de 49 ans, a pourtant été élu pour diriger la principale formation de l’opposition turque.
Une élection facilitée par le jeu des alliances, explique Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient : «Certes, il est député depuis déjà plusieurs mandats, mais pour autant, ça n’est jamais apparu comme un ténor politique qui se soit fait remarquer par des prises de position ou par un combat particulier. La victoire qui l’a emporté lors du dernier Congrès est nette et sans appel. Et il faut souligner que Özgür Özel a remporté cette victoire grâce à un soutien et donc une alliance avec les partisans du maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, qui, lui, jouit d’un véritable prestige au sein des militants et plus largement d’une partie de l’électorat turc. »
Un changement nécessaire
Plus à gauche que son prédécesseur Kemal Kılıçdaroğlu, Özgür Özel doit redonner une orientation politique à sa formation et rétablir la confiance avec les autres formations de l’opposition. Une confiance brisée lors de la campagne pour le second tour de l’élection présidentielle, détaille Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble et chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes d’Istanbul, la faute au discours anti-immigration adopté par Kemal Kılıçdaroğlu : « Kemal Kılıçdaroğlu avait suscité beaucoup d’espoir parce qu’il était parvenu à rassembler une coalition de partis assez hétéroclite. Et donc, il avait donné l’impression de pouvoir rassembler une majorité avec des chances de l’emporter. Les sondages lui donnaient d’ailleurs un certain nombre d’espoirs à ce sujet. Ils étaient souvent très positifs. Mais finalement, il s’est avéré que ses stratégies au deuxième tour ont été contestées. »
Après 13 années à la tête du CHP, des années marquées par les défaites électorales face à l’AKP de Recep Tayyip Erdogan, Kemal Kılıçdaroğlu n’était donc plus l’homme de la situation. Une opportunité qu’a su saisir Özgür Özel qui va désormais devoir s’attacher à convaincre les autres formations de l’opposition pour former à nouveau une coalition avant les élections municipales de 2024.
Une mission qui s’annonce compliquée, estime Didier Billion : « Tout est à reconstruire. Les relations entre les différents partis d’opposition sont très mauvaises actuellement. Nous savons d’ores et déjà qu’Özgür Özel a pris des contacts avec ses homologues. Ça va faire partie de ses tâches dans les jours et les semaines à venir que de revoir, de rencontrer les autres partis d’opposition et si possible reconstituer une plateforme d’opposition. Mais la tâche va être rude. Aujourd’hui, il y a plutôt un sentiment d’animosité et de concurrence entre les différentes composantes de l’opposition que de volonté de coopérer, de se projeter dans l’avenir en commun. »
Chef d’orchestre ou futur candidat ?
Özgür Özel est donc en quelque sorte celui qui a pour mission de fixer un nouveau cap à sa formation politique et de ressouder l’opposition autour de sa formation. Mais a-t-il la carrure d’un futur présidentiable ? Pour Jean Marcou, seules les prochaines échéances permettront de le savoir : « Est-ce que Özgür Özel va être l’homme d’appareil, celui qui va refonder le parti pour le mettre au service d’un candidat qui aurait plus de charisme ? Tout le monde pense à Ekrem Imamoglu. Ou au contraire, est-ce qu’il va vraiment entrer dans la course pour le leadership ? Je crois que c’est une question qui va se poser dans les prochains mois et qui va être tranchée probablement d’ici les prochaines élections municipales. »
D’ici là, Özgür Özel va pouvoir utiliser sa nouvelle fonction pour se faire connaître et développer un certain charisme. Et si d’aventure l’actuel maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, n’est pas prolongé pour un nouveau mandat lors des élections municipales, il pourrait bien alors devenir le principal adversaire de l’indéboulonnable Recep Tayyip Erdogan.