Exposition, du 28 juin au 13 août 2021, Bibliothèque Universitaire des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), Rez-de-jardin, accès sur réservation
Intitulée « Ottomanes et Ottomans au tournant du siècle », cette exposition explore la société ottomane tardive. Elle se compose notamment d’un ensemble d’ouvrages provenant d’un don de la bibliothèque personnelle du professeur Jean Deny (1879-1963). Conçue par Meriç Tanik, chargée de conversion rétrospective pour le domaine turc ottoman, elle accompagne l’achèvement du signalement des collections turc ottomanes dans le catalogue en ligne de la BULAC.
Cette exposition fournit un aperçu de la société de la fin de l’Empire ottoman à travers cinq thématiques.
Dans un premier temps, elle vous invite à vous plonger dans les romans de l’époque, où se dessinent des portraits de femmes modèles, chastes ou mères de famille, et ceux d’anti-héroïnes corrompues par le mode de vie alafranga, ainsi que dans les écrits de penseurs qui cherchent chacun une réponse à la même question ; quelle doit être la place des femmes dans la société ottomane ?
Dans les essais qu’ils publient, les Ottomans cherchent à désigner le coupable, à savoir qui est responsable du malheureux destin des femmes. Alors que pour certains comme Salahaddin Asım, la religion est entièrement responsable de leur subjugation, d’autres comme Celal Nuri [İleri] cherchent la faute dans l’occidentalisation à marche forcée des femmes ottomanes qui ne pensent qu’aux bijoux et aux robes et qui deviennent ainsi prisonnières de leurs corps, destinés au plaisir des yeux des hommes.
Cette partie sur la condition des femmes dans l’Empire ottoman inclut également des périodiques destinés à un public exclusivement féminin tels la revue Demet et le supplément pour femmes du journal Malumat. Mais, et c’est le plus important, il s’agit aussi de se pencher sur ce que les femmes ont pu publier dans la période tardive – leur donner la parole. Dans les collections de la BULAC, issues de ce domaine, les Ottomanes sont typiquement auteures de manuels et de guides (qui portent, par exemple, sur l’enseignement moral, la couture ou les règles de dressage et les recettes culinaires) ou de recueils de poésie. Elles traduisent aussi des ouvrages vers le turc ottoman, telle la traduction par Fatma Aliye [Topuz] du roman français Volonté de Georges Ohnet (1862-1936).
L’exposition vous invite à découvrir dans un deuxième temps les langues et alphabets de l’Empire ottoman, notamment à travers l’exemple de deux ouvrages peu communs tirés de la bibliothèque personnelle du professeur Jean Deny (1879-1963), l’un étant écrit en turc karamanli, turc en caractères grecs, et l’autre en arménoturc, turc en caractères arméniens.
L’accent est aussi placé sur les évolutions que connaît le turc ottoman à la fin de l’empire. Car, dès avant le passage à l’alphabet latin en 1928 et la purge lexicale des années 1930 et 1940, le turc ottoman est soumis aux critiques de penseurs demandant des réformes. En effet, les caractères arabes sont jugés insuffisants pour représenter les nombreuses voyelles utilisées en turc et trop compliqués pour imprimer en masse ou combattre l’analphabétisme. Ces critiques aboutissent même à la création d’une Islah-ı Huruf Cemiyeti (Association pour la réforme de l’alphabet) en 1908. Quant aux mots empruntés à l’arabe et au persan, ils suscitent également dans certains milieux une réaction de rejet. C’est le cas des rédacteurs de la revue Genç Kalemler tels Ömer Seyfeddin (1884-1920) et Ziya Gökalp (1876-1924) qui prônent l’élaboration d’une nouvelle langue turque plus proche du peuple, la Yeni Lisan, et insistent sur la nécessité d’éliminer le vocabulaire inutilement pris à l’arabe et au persan que seules les élites maîtrisent.
Puis, dans un ton plus grave, l’exposition explore les traumatismes dûs aux pertes de territoire successives depuis les révoltes balkaniques des années 1875-1878 suivies de la désastreuse guerre russo-turque de 1877-1878 jusqu’à la Grande Guerre, un échec total, qui transforme le vaste Empire ottoman d’autrefois en un petit enclos au centre de l’Anatolie.
La période tardive est aussi très mouvementée sur le plan politique ; le règne du sultan Abdülhamid II, caractérisé comme une époque d’absolutisme politique, fait couler beaucoup d’encre. C’est surtout contre la suspension de la constitution de 1876 et la fermeture du parlement que se constitue un mouvement d’opposition. Les Jeunes-Turcs forment en exil l’İttihad ve Terakki Cemiyeti (Comité union et progrès), qui, une fois au pouvoir après le renversement du régime hamidien, sera lui-même l’objet de virulentes critiques.
Les écrivains ottomans cherchent ainsi à exprimer leur frustration et ébranlement devant les pertes de territoires, tel Süleyman Nazif qui pleure la mort des soldats dans Batarya ile Ateş, et à penser à un système politique capable de relever l’Empire ottoman « en ruine » comme Said Halim Paşa dans Buhranlarımız. Surtout, il est question pour Tüccarzade İbrahim Hilmi de chercher et d’expliciter les raisons du « déclin » ottoman. À travers quatre essais qu’il publie sur ce sujet, il cherche à répondre aux questions suivantes : comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’est-ce qu’il faut faire pour sauver la patrie ?
Enfin, l’exposition propose un bref aperçu de l’enseignement vers la fin de l’empire à travers livret d’étudiants, manuels pour l’enseignement primaire (ibtidai) et secondaire (rüşdiye, idadi et sultani), annuaires du ministère de l’Instruction publique ottoman et revues de la Darülfünun, l’université d’Istanbul.