COURRIER INTERNATIONAL, le 6 mars 2025
Si elle veut repenser sa stratégie de défense face à l’éloignement des États-Unis, l’Europe n’a d’autre choix que de compter sur Ankara, estime la presse turque.
Les Européens pourraient être tentés de resserrer leurs liens avec Ankara après les déclarations et revirements de Donald Trump sur l’Ukraine, l’Europe et l’Otan, estime le quotidien progouvernemental Hürriyet. Qui rappelle que “la Turquie possède, après les États-Unis, la seconde plus grande armée de l’Otan”.
Même constat pour le quotidien Star, qui estime que la Turquie pourrait prendre une nouvelle place dans l’architecture de défense européenne. “L’Europe est vieille et fatiguée, mais son économie est riche, ses technologies intéressantes et elle est le principal partenaire commercial de la Turquie”, écrit le journal.
Lire aussi En Turquie, l’essor spectaculaire du secteur de l’armement
Mais cette alliance avec l’Europe devra être renégociée au profit d’Ankara, ajoute le quotidien. Ce dernier s’indigne notamment que des opposants au pouvoir turc puissent encore trouver refuge sur le Vieux Continent et souligne que “le temps où l’on pouvait donner des ordres à la Turquie est révolu”.
L’adhésion à l’UE au point mort depuis 2018
Côté européen, plusieurs responsables ont également fait part d’une volonté de rapprochement avec Ankara. “Le sentiment général au sein de l’UE est que la Turquie est plus importante que jamais en ce qui concerne la coopération pour la sécurité”, affirme Samuel Doveri Vesterbye, directeur général du think tank CEV (Conseil européen de voisinage), dans des propos rapportés par le média Turkey Recap.
“Malgré le fait que certains membres de l’UE ont des réserves à l’égard de la Turquie, il y a un large consensus sur le fait que la Turquie est nécessaire en ce moment”, a-t-il ajouté.
Lire aussi : Alliances. La Turquie candidate à l’adhésion aux Brics : “équilibre” ou “suicide diplomatique” ?
Les négociations sur l’entrée d’Ankara au sein de l’UE sont au point mort depuis 2018, en raison notamment des violations des droits de l’homme dans le pays et de l’occupation militaire du nord de l’île de Chypre.
Le 3 mars, à l’occasion de la cérémonie de rupture du jeûne du ramadan organisée avec les ambassadeurs étrangers en Turquie, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a estimé “impossible de penser la défense européenne sans la Turquie”, rapporte le quotidien Milliyet. Il a, en outre, rappelé que le pays restait candidat à une adhésion à l’Union européenne, une “priorité stratégique” selon lui.
“Politique d’équilibre”
Mais ce rapprochement entre l’UE et la Turquie n’en est qu’à ses débuts. Ankara a certes participé au sommet européen consacré à la défense du continent et à l’Ukraine, qui s’est tenu à Londres le 2 mars. Elle était représentée par son ministre des Affaires étrangères, Hakan Fidan. Mais le chef de l’État turc a préféré ne pas s’y rendre pour ne pas enfreindre sa “politique d’équilibre” entre Kiev et Moscou et risquer d’endommager ses bonnes relations avec le Kremlin, estime le quotidien Star.
La Turquie s’est maintes fois dite prête à jouer un rôle dans d’éventuelles négociations de paix entre la Russie et l’Ukraine : Ankara se veut neutre dans ce conflit et tente de garder de bons rapports avec les deux pays.
Lire aussi : Guerre en Ukraine. Entre la Russie et la Turquie, il y a de l’eau dans le gaz
À la suite d’une visite du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, fin février, des responsables turcs se sont même dits ouverts au déploiement éventuel d’une force turque de maintien de la paix en Ukraine, rapporte l’agence de presse économique Bloomberg.
Étroitement liée à Moscou au niveau économique, accusée d’aider la Russie à contourner les sanctions occidentales, la Turquie a néanmoins affirmé depuis l’invasion de la Crimée en 2014 son attachement au respect des frontières internationales et son soutien à la souveraineté territoriale de l’Ukraine, et tente depuis de jouer les équilibristes.
Courrier international