Après dépouillement quasi complet, le principal parti d’opposition, le CHP (social-démocrate), conserve Istanbul, Ankara, la capitale, et Izmir, la troisième ville du pays. La formation du chef de l’Etat, l’AKP, a aussi perdu des capitales provinciales dans la conservatrice Anatolie, considérées comme acquises de longue date.
L’opposition turque a remporté une large victoire à travers le pays, dimanche 31 mars, au soir d’élections municipales ressemblant à un camouflet pour le président, Recep Tayyip Erdogan, qui a concédé, en soirée, la défaite de son parti.
« Malheureusement, nous n’avons pas obtenu les résultats que nous souhaitions », a déclaré le chef de l’Etat, qui s’exprimait au siège de l’AKP, à Ankara, devant une foule inhabituellement silencieuse. M. Erdogan a promis de respecter le résultat du scrutin, qu’il qualifie de « tournant » pour son camp. « Nous ne manquerons pas de respect à la décision de notre Nation, nous éviterons de nous entêter, d’agir contre la volonté nationale et de remettre en question le pouvoir de la Nation », a-t-il déclaré.
Le dépouillement de près de 99 % des urnes à l’échelle nationale confirme que l’opposition a infligé au parti islamo-conservateur du chef de l’Etat sa pire débâcle électorale. Le principal parti de l’opposition, le CHP (social-démocrate), a revendiqué sa victoire à Istanbul et Ankara, les deux plus grandes villes de Turquie, et a raflé de nombreux autres succès, comme à Bursa, grosse ville industrielle du Nord-Ouest acquise à l’AKP depuis 2004. La proclamation des résultats définitifs par la Haute Commission électorale est attendue dans la journée de lundi.
« Les électeurs ont choisi de changer le visage de la Turquie »
Peu avant minuit heure locale (23 heures à Paris), le maire sortant d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, avait annoncé sa réélection à la tête de la plus grande ville de Turquie, conquise en 2019.
« Ce soir, la démocratie va déferler (…) sur les places, dans les rues, les universités, les cafés et les restaurants d’Istanbul », a lancé l’édile face à des dizaines de milliers de ses partisans accourus devant le siège de la municipalité, sous une déferlante de drapeaux rouges turcs et de fumigènes.
Dans la capitale du pays, à Ankara, le maire CHP, Mansur Yavas, largement en tête, avait lui aussi déjà revendiqué la victoire, affirmant devant une foule en liesse que « ceux qui ont été ignorés ont envoyé un message clair à ceux qui dirigent ce pays ».
« Les électeurs ont choisi de changer le visage de la Turquie », a estimé le chef du CHP, Ozgür Özel. Outre Izmir (Ouest), troisième ville du pays et fief du CHP, et Antalya (Sud) où les partisans de l’opposition commençaient à célébrer la victoire dans les rues, la principale formation de l’opposition a réalisé une percée spectaculaire en Anatolie. Elle fait la course en tête dans des chefs-lieux de province longtemps tenus par l’AKP, selon des résultats quasi définitifs.
Un scrutin local qui offre une résonance nationale
Le président, Recep Tayyip Erdogan, âgé de 70 ans, au pouvoir depuis plus de deux décennies, avait jeté tout son poids dans la campagne, en particulier à Istanbul, la capitale économique et culturelle du pays, dont il a été le maire dans les années 1990 et qui avait basculé dans l’opposition en 2019.
Tout au long de la campagne, il a enchaîné les meetings quotidiens, bénéficiant d’un temps d’antenne illimité sur les télévisions publiques, quand ses adversaires en étaient presque privés. Mais l’engagement du chef de l’Etat, qui a annoncé au début de mars que ces élections étaient « ses dernières », n’a pas suffi, et il a finalement donné à ce scrutin local une résonance nationale.
« Qui remporte Istanbul remporte la Turquie », a coutume de dire le président Erdogan. La réélection à la tête de la mégapole d’Ekrem Imamoglu pourrait donc d’ores et déjà lancer ce dernier dans la course à l’élection présidentielle de 2028, lui qui n’a de cesse de se poser en rival direct du chef de l’Etat.
Outre une possible lassitude de retourner aux urnes dix mois après les élections présidentielle et législatives de mai 2023, les électeurs, confrontés à une grave crise économique, ont sanctionné le gouvernement : l’inflation de 67 % sur un an et le dévissage de leur monnaie rendent le quotidien de nombreux Turcs de la classe moyenne insoutenable. Cette désaffection s’est notamment traduite par une participation en recul par rapport à 2019.
Les candidats de l’AKP se sont toutefois maintenus en tête dans plusieurs grandes villes d’Anatolie (Konya, Kayseri, Erzurum) et de la mer Noire (Rize, Trabzon), bastions du président Erdogan, tandis que le parti pro-kurde du DEM s’assurait une confortable avance dans plusieurs grandes villes du Sud-Est à majorité kurde, dont Diyarbakir, la capitale informelle des Kurdes de Turquie.