Michel Taube , Editorial, Opinion Internationale, 22 juin 2021
Le 14 juin dernier s’est déroulé à l’Assemblée Nationale française à Paris le colloque « Géopolitique des Frères musulmans », à l’initiative de Frédéric Encel, écrivain et docteur en géopolitique, notamment à la PSB (Paris School of Business), en présence de plusieurs experts comme François Loncle, ancien Président de la Commission des affaires étrangères, Nora Seni, spécialiste de la Turquie et professeur des universités, Gabriel Martinez-Gros, professeur d’université, Michael Prazan, documentariste et essayiste, Anne-Clémentine Larroque, experte ès terrorisme auprès des tribunaux et Jean-Michel Fauvergues, député LREM.
Les participants ont mis en évidence la relation entre les soubresauts qui secouent actuellement le Moyen-Orient et la stratégie des Frères musulmans, une relation qui ne semble pas évidente au premier regard. Mais là réside précisément la stratégie de la confrérie frériste : à l’inverse des salafistes, dont les gros sabots dénoncent les intentions malveillantes et djihadistes, les fréristes sont de grands adeptes de la dissimulation et de l’infiltration, la taqiya, qui est leur cape d’invisibilité. Cette stratégie ne les empêche pas de soutenir le terrorisme lorsqu’ils l’estiment utile à la réalisation de leur dessein, lorsqu’il crée l’instabilité et le chaos sur lesquels prospère leur idéologie, à l’instar d’autres populistes. Pour Michael Prazan, les nazis ont inspiré les Frères musulmans et ont su, comme eux, manier l’idéologie politique, le terrorisme et l’aide sociale. On peut y ajouter un art de la victimisation outrancière et celui de se trouver en Occident des idiots utiles pour les épauler, qu’il s’agisse des Woke issus de l’aile gauche du parti Démocrate américain ou des extrêmes-gauches européennes.
Opinion Internationale a rappelé à plusieurs reprises qu’avant que les Frères musulmans, confrérie née en Égypte en 1928, ne tissent leur toile en Afrique et en Asie, de nombreux pays arabo-musulmans étaient peu ou prou sur le chemin de la sécularisation, sans clergé central, sans révolution, sans rupture. Les femmes avaient abandonné le voile et les mœurs se libéralisaient sans que l’on puisse alors imaginer un retour brutal vers un islam médiéval, totalitaire et expansionniste. Gabriel Martinez-Gros souligne à quel point d’ailleurs est historiquement fausse l’idée d’une impossible séparation entre religion et politique dans le culte musulman. Au contraire, la consolidation des États a contribué à cette séparation un siècle et demi après la mort du Prophète. Les musulmans ne sont pas condamnés à vivre éternellement sous oppression obscurantiste, sous l’influence des fréristes et autres salafistes qui instrumentalisent la religion afin d’imposer leur mainmise politique et sociale.
Comme le souligne Frédéric Encel, l’hostilité des Frères musulmans à l’égard de la France est d’autant plus intense que les Français sont perçus comme le peuple « mécrant » depuis Voltaire. En effet, la laïcité, que l’on peut analyser comme une forme de théorisation de la sécularisation, est en opposition frontale avec le projet de l’islam politique. Haine des mécréants, des juifs, de l’Occident, les Frères musulmans sont des ennemis de toutes les démocraties, mais c’est paradoxalement au sein de la République laïque française qu’ils sont le plus implantés, le plus infiltrés (voir notamment le rapport des députés LR Éric Diard et LREM Éric Poulliat, ou encore celui d’une commission d’enquête sénatoriale présidée par Nathalie Delattre). Police, santé, enseignement et université, sport…, l’islam politique s’engouffre partout, et crie à l’islamophobie dès qu’on s’en inquiète.
L’étonnante mansuétude de la ministre des Sports Roxana Maracineanusur le sujet du voile islamique suscite par exemple l’étonnement et pour toute dire une grande inquiétude.
Mais jusqu’où la mouvance des Frères musulmans pousse-t-elle ses pions ?
Alors candidat à la présidentielle de 2017, Emmanuel Macron disait tout le bien qu’il pensait de Mohamed Saou, cadre du mouvement En Marche!, proche du CCIF, donc des Frères musulmans, et du Parti des indigènes de la République. Le président de la République ne décréta sans ambiguïté la guerre à l’islam politique qu’après l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, mais les fanfaronnades de son ministre de l’Intérieur cachent mal l’énormité du chantier auquel aucun gouvernement n’a osé s’attaquer jusqu’alors, laissant craindre une situation irréversible d’où ne peuvent découler que de mauvaises options : la scission, la soumission ou la confrontation.
Aujourd’hui, les jeunes filles voilées de France semblent plus rigoristes, archaïques et austères que celles du Moyen-Orient. Tel est l’un des résultats du travail de sape des Frères musulmans, et ceux qui refusent de les combattre, voire s’érigent en leurs complices, engagent leur responsabilité devant l’Histoire. Comme l’a souligné le député Jean-Michel Fauvergues, qui fut aussi commandant du Raid, « le combat nous est prescrit » par les Frères musulmans, car ils sont engagés dans une « islamisation » des esprits et de nos manières de vivre.
Le salut peut-il venir du Moyen-Orient qui, comme le souligne François Loncle, ne représente qu’un quart de la population musulmane mondiale ? C’est de cette région qu’est venu l’obscurantisme musulman du XXième siècle. Elle est pour beaucoup de musulmans le phare qui guide leur rapport à la religion et celui du religieux au politique. En Occident, de nombreux musulmans ont été ébranlés par le rapprochement de plusieurs pays du Golfe, mais aussi du Maroc ou du Soudan avec Israël, rapprochement auquel le récent conflit avec le Hamas n’a pas mis fin, tant s’en faut. Plus près de nous, l’évolution de la Turquie et de son imprévisible président Erdogan, nationaliste et islamiste proche des Frères musulmans, laisse les Occidentaux perplexes. Comme l’indique Nora Seni, Erdogan sait que Joe Biden sera moins indulgent à son égard que le fut Donald Trump, et qu’il lui faudra par conséquent modérer ses saillies contre l’Occident s’il ne veut pas s’isoler davantage. Mais elle souligne aussi qu’il tient à pérenniser l’influence de la Turquie en Libye, riche en hydrocarbures marins. L’Iran, dont les cadres de la révolution, alors en exil (en particulier en France s’agissant de l’Ayatollah Khomeiny) avaient été idéologiquement formés par les Frères musulmans dans les années 1970, est dans une situation analogue, mais avec le degré de tension supplémentaire que suscitent sa quête de l’arme atomique, son expansionnisme déstabilisateur et sa propension à encourager et financer le terrorisme et les conflits armés, comme celui qui opposa Israël au Hamas en mai dernier, et dont on craint la résurgence.
La stratégie d’infiltration des Frères musulmans est un poison plus mortel que la guerre, car on risque d’en prendre conscience lorsqu’il sera trop tard pour s’en débarrasser, du moins sans violence. Tous les pays qui ont laissé l’islam politique s’installer n’en sont venus à bout que par la force, à commencer par l’Égypte. Même les dirigeants des pays du Golfe semblent avoir pris la mesure du fléau.
Reste une question clé : combien de fréristes ont infiltré la gauche américaine, le mouvement Woke, le parti démocrate et l’entourage de Joe Biden ? Les équipes d’Obama comptaient des Fréristes dans leurs rangs. Et celles de Biden ?
La question vaut aussi pour les démocraties européennes, mais eu égard à l’influence et au poids des États-Unis, la réponse y a une portée géopolitique planétaire. Le combat ne fait que commencer, ou recommencer. Notre objectif est de gagner sans verser de sang, sans guerre, notamment civile. Cela passe aussi par une prise de conscience des communautés musulmanes occidentales, qui doivent avoir à l’esprit qu’elles ont plus de libertés et de droits en France, même en ce qui concerne la pratique religieuse, qu’en terre d’islam, à la seule condition de renoncer au prosélytisme et à tout objectif de conquête politique. Il faudra donc aussi convaincre pour éviter d’avoir à vaincre.
Michel Taube
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