Marie Jégo(Istanbul, correspondant) et Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen) relatent (23 janv.2021) les sujets que les ministres des affaires étrangères européens s’apprêtent à évoquer, lundi 25 janvier avec Ankara
“De la Turquie, il est beaucoup question à Bruxelles en ce moment. Lundi 25 janvier, les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne (UE) s’apprêtent à évoquer la question des difficiles relations avec Ankara, comme ce fut le cas à l’issue de la visite, jeudi 21 et vendredi 22 janvier, du ministre des affaires étrangères turc, Mevlüt Çavusoglu, et de son adjoint, Faruk Kaymakci. Les deux diplomates ont rencontré les principaux dirigeants de l’UE et de l’OTAN, une « offensive de charme », selon des observateurs bruxellois, censée aider à remettre sur les rails la relation abîmée entre les Vingt-Sept et la Turquie, toujours candidate à l’adhésion sur le papier.
Ce déplacement visait le sommet européen de la mi-mars, au cours duquel les chefs d’Etat et de gouvernement sont censés examiner une « feuille de route » pour les relations futures avec la Turquie. Le haut représentant, Josep Borrell, doit leur présenter un rapport assorti de plusieurs options et, éventuellement, de sanctions, comme cela avait été évoqué en décembre, à la suite des activités turques de forage dans les eaux chypriotes et grecques, des violations par Ankara de l’embargo de l’ONU sur les armes en Libye, ou encore de son activisme militaire au Haut-Karabakh.Article réservé à nos abonnés Lire aussi 2021, année de tous les dangers pour Erdogan
En décembre, les Européens s’étaient toutefois contentés d’évoquer une menace de sanctions – non concrétisée à ce stade – contre des responsables des forages gaziers dans les zones chypriotes. Ces dernières semaines, la diplomatie européenne a bien noté les propos conciliants du président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son apparente volonté d’apaisement.
« Est-elle durable ou temporaire ? », s’interroge, comme beaucoup, un diplomate, qui relève cependant « des pas dans la bonne direction », à savoir la reprise des pourparlers exploratoires avec Athènes sur les ressources énergétiques, un éventuel redémarrage des négociations, sur le statut de Chypre, l’île divisée de la Méditerranée, la suspension de l’exploration gazière turque en Méditerranée orientale.
« Etablir un agenda positif »
Après avoir semé la zizanie en Méditerranée orientale à l’été 2020 et après avoir conseillé au président français, Emmanuel Macron, de « se faire soigner mentalement », M. Erdogan n’a eu de cesse d’affirmer, ces dernières semaines, vouloir « tourner une nouvelle page » dans les relations de son pays avec l’UE et aussi avec la France, de façon à « établir un agenda positif » en 2021. Première mesure dans ce sens, la Turquie et la Grèce vont reprendre, lundi à Istanbul, leurs pourparlers exploratoires, interrompus depuis 2016, sur les droits énergétiques et les frontières maritimes, autant de problèmes qui ont mis les deux pays au bord de la confrontation militaire à l’été 2020.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Face à la Turquie, la Grèce multiplie les alliances militaires
Malgré des déclarations bienveillantes de part et d’autre – le premier ministre grec, Alexis Mitsotakis, disant espérer « une relation productive avec la Turquie » en 2021 tandis que le président Erdogan évoquait « une nouvelle ère » –, Grecs et Turcs ont peiné à s’accorder ne serait-ce que sur l’agenda des pourparlers. Les diplomates grecs estimaient que les négociations devaient porter uniquement sur les frontières maritimes et le partage des ressources énergétiques tandis que leurs homologues turcs voulaient mettre tous les problèmes sur la table, notamment celui de la démilitarisation des îles grecques, ce qui laisse dubitatif sur leur capacité à s’entendre.
La Turquie a donné un autre signe d’apaisement en renvoyant à son port d’attache, jusqu’en juin 2021, son navire de prospection Oruç Reis, lequel avait été déployé tout l’été dans les eaux grecques, créant une montée des tensions.
Paris et d’autres capitales prudentes
Les experts restent sceptiques quant au succès de ce changement diplomatique et à ses motivations. Toute la question est de savoir si les déclarations du président Erdogan seront suivies de gestes tangibles. « Le dialogue est essentiel, mais nous attendons des gestes crédibles », a insisté la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, à l’issue de son entretien avec M. Çavusoglu.
« Les dirigeants turcs tendent à ajuster leur discours de politique étrangère afin de répondre aux exigences de la politique intérieure », Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE à Ankara
L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, réputé moins conciliant avec M. Erdogan que ne l’était son prédécesseur Donal Trump, l’imposition de sanctions américaines pour l’acquisition des antimissiles russes S-400, et enfin la dégradation de l’économie turque, fortement dépendante des investisseurs européens, expliquent le changement de ton à Ankara. « Les dirigeants turcs tendent à ajuster leur discours de politique étrangère afin de répondre aux exigences de la politique intérieure. Cela crée une énorme incertitude chez les partenaires européens et américains car la Turquie joue simultanément la carte ami et ennemi, tout en agissant avec et contre l’OTAN. Ce qui nécessite une refonte stratégique de la part des alliés occidentaux », rappellent Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE à Ankara, et Francesco Siccardi dans une analyse publiée le 21 janvier par la Fondation Carnegie Europe.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les provocations turques en Méditerranée embarrassent une OTAN impuissante
Si Paris et d’autres capitales affichent la prudence, l’Allemagne, elle, semble croire davantage aux « signaux positifs », décrits par le ministre des affaires étrangères, Heiko Maas, lors d’une visite à Ankara, lundi 18 janvier. Au cours de sa visite, le ministre allemand a notamment été pressé par ses interlocuteurs turcs de résoudre le problème des exportations d’armes allemandes vers la Turquie. La production de l’Altay, le premier char turc de combat, est notamment bloquée depuis 2019 par le refus de l’Allemagne de fournir le moteur et les systèmes de transmission pour ce char de nouvelle génération. La coopération germano-turque en matière de défense repose aussi sur la production de six sous-marins, très attendus par les autorités turques.
Préserver un « climat positif »
La perspective d’une limitation des exportations de matériel militaire semble inquiéter au plus haut point le président Erdogan, dont l’objectif premier est de renforcer l’industrie de défense de son pays. Son aventurisme militaire au Haut-Karabakh, en Libye, en Syrie, en Irak du Nord, inquiète les alliés de l’OTAN. Récemment, des entreprises canadienne et britannique ont cessé de fournir à la Turquie des pièces nécessaires à la fabrication de ses drones.Lire aussi La Turquie souhaite ouvrir « une nouvelle page » avec l’Union européenne, affirme Recep Tayyip Erdogan
Ankara est particulièrement sensible au sujet des sanctions. « Aucun résultat ne pourra être atteint avec le langage des sanctions », a averti Mevlüt Çavusoglu, vendredi, dans un Tweet publié après sa rencontre avec le président du Conseil européen, Charles Michel.
La Turquie souhaite préserver « un climat positif ». Ce qui n’a pas empêché sa diplomatie de faire savoir, plus ou moins discrètement, qu’elle comptait remettre sur le tapis l’accord sur la migration conclu avec Bruxelles en mars 2016. Un moyen de pression habituel qui visait, cette fois, à faire progresser la négociation sur la libéralisation des visas, l’une des promesses faites à M. Erdogan en échange du contrôle par son pays des flux de migrants désireux de se rendre en Europe.
Marie Jégo(Istanbul, correspondante) et Jean-Pierre Stroobants(Bruxelles, bureau européen)
“De la Turquie, il est beaucoup question à Bruxelles en ce moment. Lundi 25 janvier, les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne (UE) s’apprêtent à évoquer la question des difficiles relations avec Ankara, comme ce fut le cas à l’issue de la visite, jeudi 21 et vendredi 22 janvier, du ministre des affaires étrangères turc, Mevlüt Çavusoglu, et de son adjoint, Faruk Kaymakci. Les deux diplomates ont rencontré les principaux dirigeants de l’UE et de l’OTAN, une « offensive de charme », selon des observateurs bruxellois, censée aider à remettre sur les rails la relation abîmée entre les Vingt-Sept et la Turquie, toujours candidate à l’adhésion sur le papier.
Ce déplacement visait le sommet européen de la mi-mars, au cours duquel les chefs d’Etat et de gouvernement sont censés examiner une « feuille de route » pour les relations futures avec la Turquie. Le haut représentant, Josep Borrell, doit leur présenter un rapport assorti de plusieurs options et, éventuellement, de sanctions, comme cela avait été évoqué en décembre, à la suite des activités turques de forage dans les eaux chypriotes et grecques, des violations par Ankara de l’embargo de l’ONU sur les armes en Libye, ou encore de son activisme militaire au Haut-Karabakh.Article réservé à nos abonnés Lire aussi 2021, année de tous les dangers pour Erdogan
En décembre, les Européens s’étaient toutefois contentés d’évoquer une menace de sanctions – non concrétisée à ce stade – contre des responsables des forages gaziers dans les zones chypriotes. Ces dernières semaines, la diplomatie européenne a bien noté les propos conciliants du président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son apparente volonté d’apaisement.
« Est-elle durable ou temporaire ? », s’interroge, comme beaucoup, un diplomate, qui relève cependant « des pas dans la bonne direction », à savoir la reprise des pourparlers exploratoires avec Athènes sur les ressources énergétiques, un éventuel redémarrage des négociations, sur le statut de Chypre, l’île divisée de la Méditerranée, la suspension de l’exploration gazière turque en Méditerranée orientale.
« Etablir un agenda positif »
Après avoir semé la zizanie en Méditerranée orientale à l’été 2020 et après avoir conseillé au président français, Emmanuel Macron, de « se faire soigner mentalement », M. Erdogan n’a eu de cesse d’affirmer, ces dernières semaines, vouloir « tourner une nouvelle page » dans les relations de son pays avec l’UE et aussi avec la France, de façon à « établir un agenda positif » en 2021. Première mesure dans ce sens, la Turquie et la Grèce vont reprendre, lundi à Istanbul, leurs pourparlers exploratoires, interrompus depuis 2016, sur les droits énergétiques et les frontières maritimes, autant de problèmes qui ont mis les deux pays au bord de la confrontation militaire à l’été 2020.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Face à la Turquie, la Grèce multiplie les alliances militaires
Malgré des déclarations bienveillantes de part et d’autre – le premier ministre grec, Alexis Mitsotakis, disant espérer « une relation productive avec la Turquie » en 2021 tandis que le président Erdogan évoquait « une nouvelle ère » –, Grecs et Turcs ont peiné à s’accorder ne serait-ce que sur l’agenda des pourparlers. Les diplomates grecs estimaient que les négociations devaient porter uniquement sur les frontières maritimes et le partage des ressources énergétiques tandis que leurs homologues turcs voulaient mettre tous les problèmes sur la table, notamment celui de la démilitarisation des îles grecques, ce qui laisse dubitatif sur leur capacité à s’entendre.
La Turquie a donné un autre signe d’apaisement en renvoyant à son port d’attache, jusqu’en juin 2021, son navire de prospection Oruç Reis, lequel avait été déployé tout l’été dans les eaux grecques, créant une montée des tensions.
Paris et d’autres capitales prudentes
Les experts restent sceptiques quant au succès de ce changement diplomatique et à ses motivations. Toute la question est de savoir si les déclarations du président Erdogan seront suivies de gestes tangibles. « Le dialogue est essentiel, mais nous attendons des gestes crédibles », a insisté la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, à l’issue de son entretien avec M. Çavusoglu.
« Les dirigeants turcs tendent à ajuster leur discours de politique étrangère afin de répondre aux exigences de la politique intérieure », Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE à Ankara
L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, réputé moins conciliant avec M. Erdogan que ne l’était son prédécesseur Donal Trump, l’imposition de sanctions américaines pour l’acquisition des antimissiles russes S-400, et enfin la dégradation de l’économie turque, fortement dépendante des investisseurs européens, expliquent le changement de ton à Ankara. « Les dirigeants turcs tendent à ajuster leur discours de politique étrangère afin de répondre aux exigences de la politique intérieure. Cela crée une énorme incertitude chez les partenaires européens et américains car la Turquie joue simultanément la carte ami et ennemi, tout en agissant avec et contre l’OTAN. Ce qui nécessite une refonte stratégique de la part des alliés occidentaux », rappellent Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE à Ankara, et Francesco Siccardi dans une analyse publiée le 21 janvier par la Fondation Carnegie Europe.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les provocations turques en Méditerranée embarrassent une OTAN impuissante
Si Paris et d’autres capitales affichent la prudence, l’Allemagne, elle, semble croire davantage aux « signaux positifs », décrits par le ministre des affaires étrangères, Heiko Maas, lors d’une visite à Ankara, lundi 18 janvier. Au cours de sa visite, le ministre allemand a notamment été pressé par ses interlocuteurs turcs de résoudre le problème des exportations d’armes allemandes vers la Turquie. La production de l’Altay, le premier char turc de combat, est notamment bloquée depuis 2019 par le refus de l’Allemagne de fournir le moteur et les systèmes de transmission pour ce char de nouvelle génération. La coopération germano-turque en matière de défense repose aussi sur la production de six sous-marins, très attendus par les autorités turques.
Préserver un « climat positif »
La perspective d’une limitation des exportations de matériel militaire semble inquiéter au plus haut point le président Erdogan, dont l’objectif premier est de renforcer l’industrie de défense de son pays. Son aventurisme militaire au Haut-Karabakh, en Libye, en Syrie, en Irak du Nord, inquiète les alliés de l’OTAN. Récemment, des entreprises canadienne et britannique ont cessé de fournir à la Turquie des pièces nécessaires à la fabrication de ses drones.Lire aussi La Turquie souhaite ouvrir « une nouvelle page » avec l’Union européenne, affirme Recep Tayyip Erdogan
Ankara est particulièrement sensible au sujet des sanctions. « Aucun résultat ne pourra être atteint avec le langage des sanctions », a averti Mevlüt Çavusoglu, vendredi, dans un Tweet publié après sa rencontre avec le président du Conseil européen, Charles Michel.
La Turquie souhaite préserver « un climat positif ». Ce qui n’a pas empêché sa diplomatie de faire savoir, plus ou moins discrètement, qu’elle comptait remettre sur le tapis l’accord sur la migration conclu avec Bruxelles en mars 2016. Un moyen de pression habituel qui visait, cette fois, à faire progresser la négociation sur la libéralisation des visas, l’une des promesses faites à M. Erdogan en échange du contrôle par son pays des flux de migrants désireux de se rendre en Europe.
Marie Jégo(Istanbul, correspondante) et Jean-Pierre Stroobants(Bruxelles, bureau européen)
Marie Jégo(Istanbul, correspondant) et Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen) relatent (23 janv.2021) les sujets que les ministres des affaires étrangères européens s’apprêtent à évoquer, lundi 25 janvier avec Ankara
“De la Turquie, il est beaucoup question à Bruxelles en ce moment. Lundi 25 janvier, les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne (UE) s’apprêtent à évoquer la question des difficiles relations avec Ankara, comme ce fut le cas à l’issue de la visite, jeudi 21 et vendredi 22 janvier, du ministre des affaires étrangères turc, Mevlüt Çavusoglu, et de son adjoint, Faruk Kaymakci. Les deux diplomates ont rencontré les principaux dirigeants de l’UE et de l’OTAN, une « offensive de charme », selon des observateurs bruxellois, censée aider à remettre sur les rails la relation abîmée entre les Vingt-Sept et la Turquie, toujours candidate à l’adhésion sur le papier.
Ce déplacement visait le sommet européen de la mi-mars, au cours duquel les chefs d’Etat et de gouvernement sont censés examiner une « feuille de route » pour les relations futures avec la Turquie. Le haut représentant, Josep Borrell, doit leur présenter un rapport assorti de plusieurs options et, éventuellement, de sanctions, comme cela avait été évoqué en décembre, à la suite des activités turques de forage dans les eaux chypriotes et grecques, des violations par Ankara de l’embargo de l’ONU sur les armes en Libye, ou encore de son activisme militaire au Haut-Karabakh.Article réservé à nos abonnés Lire aussi 2021, année de tous les dangers pour Erdogan
En décembre, les Européens s’étaient toutefois contentés d’évoquer une menace de sanctions – non concrétisée à ce stade – contre des responsables des forages gaziers dans les zones chypriotes. Ces dernières semaines, la diplomatie européenne a bien noté les propos conciliants du président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son apparente volonté d’apaisement.
« Est-elle durable ou temporaire ? », s’interroge, comme beaucoup, un diplomate, qui relève cependant « des pas dans la bonne direction », à savoir la reprise des pourparlers exploratoires avec Athènes sur les ressources énergétiques, un éventuel redémarrage des négociations, sur le statut de Chypre, l’île divisée de la Méditerranée, la suspension de l’exploration gazière turque en Méditerranée orientale.
« Etablir un agenda positif »
Après avoir semé la zizanie en Méditerranée orientale à l’été 2020 et après avoir conseillé au président français, Emmanuel Macron, de « se faire soigner mentalement », M. Erdogan n’a eu de cesse d’affirmer, ces dernières semaines, vouloir « tourner une nouvelle page » dans les relations de son pays avec l’UE et aussi avec la France, de façon à « établir un agenda positif » en 2021. Première mesure dans ce sens, la Turquie et la Grèce vont reprendre, lundi à Istanbul, leurs pourparlers exploratoires, interrompus depuis 2016, sur les droits énergétiques et les frontières maritimes, autant de problèmes qui ont mis les deux pays au bord de la confrontation militaire à l’été 2020.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Face à la Turquie, la Grèce multiplie les alliances militaires
Malgré des déclarations bienveillantes de part et d’autre – le premier ministre grec, Alexis Mitsotakis, disant espérer « une relation productive avec la Turquie » en 2021 tandis que le président Erdogan évoquait « une nouvelle ère » –, Grecs et Turcs ont peiné à s’accorder ne serait-ce que sur l’agenda des pourparlers. Les diplomates grecs estimaient que les négociations devaient porter uniquement sur les frontières maritimes et le partage des ressources énergétiques tandis que leurs homologues turcs voulaient mettre tous les problèmes sur la table, notamment celui de la démilitarisation des îles grecques, ce qui laisse dubitatif sur leur capacité à s’entendre.
La Turquie a donné un autre signe d’apaisement en renvoyant à son port d’attache, jusqu’en juin 2021, son navire de prospection Oruç Reis, lequel avait été déployé tout l’été dans les eaux grecques, créant une montée des tensions.
Paris et d’autres capitales prudentes
Les experts restent sceptiques quant au succès de ce changement diplomatique et à ses motivations. Toute la question est de savoir si les déclarations du président Erdogan seront suivies de gestes tangibles. « Le dialogue est essentiel, mais nous attendons des gestes crédibles », a insisté la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, à l’issue de son entretien avec M. Çavusoglu.
L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, réputé moins conciliant avec M. Erdogan que ne l’était son prédécesseur Donal Trump, l’imposition de sanctions américaines pour l’acquisition des antimissiles russes S-400, et enfin la dégradation de l’économie turque, fortement dépendante des investisseurs européens, expliquent le changement de ton à Ankara. « Les dirigeants turcs tendent à ajuster leur discours de politique étrangère afin de répondre aux exigences de la politique intérieure. Cela crée une énorme incertitude chez les partenaires européens et américains car la Turquie joue simultanément la carte ami et ennemi, tout en agissant avec et contre l’OTAN. Ce qui nécessite une refonte stratégique de la part des alliés occidentaux », rappellent Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE à Ankara, et Francesco Siccardi dans une analyse publiée le 21 janvier par la Fondation Carnegie Europe.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les provocations turques en Méditerranée embarrassent une OTAN impuissante
Si Paris et d’autres capitales affichent la prudence, l’Allemagne, elle, semble croire davantage aux « signaux positifs », décrits par le ministre des affaires étrangères, Heiko Maas, lors d’une visite à Ankara, lundi 18 janvier. Au cours de sa visite, le ministre allemand a notamment été pressé par ses interlocuteurs turcs de résoudre le problème des exportations d’armes allemandes vers la Turquie. La production de l’Altay, le premier char turc de combat, est notamment bloquée depuis 2019 par le refus de l’Allemagne de fournir le moteur et les systèmes de transmission pour ce char de nouvelle génération. La coopération germano-turque en matière de défense repose aussi sur la production de six sous-marins, très attendus par les autorités turques.
Préserver un « climat positif »
La perspective d’une limitation des exportations de matériel militaire semble inquiéter au plus haut point le président Erdogan, dont l’objectif premier est de renforcer l’industrie de défense de son pays. Son aventurisme militaire au Haut-Karabakh, en Libye, en Syrie, en Irak du Nord, inquiète les alliés de l’OTAN. Récemment, des entreprises canadienne et britannique ont cessé de fournir à la Turquie des pièces nécessaires à la fabrication de ses drones.Lire aussi La Turquie souhaite ouvrir « une nouvelle page » avec l’Union européenne, affirme Recep Tayyip Erdogan
Ankara est particulièrement sensible au sujet des sanctions. « Aucun résultat ne pourra être atteint avec le langage des sanctions », a averti Mevlüt Çavusoglu, vendredi, dans un Tweet publié après sa rencontre avec le président du Conseil européen, Charles Michel.
La Turquie souhaite préserver « un climat positif ». Ce qui n’a pas empêché sa diplomatie de faire savoir, plus ou moins discrètement, qu’elle comptait remettre sur le tapis l’accord sur la migration conclu avec Bruxelles en mars 2016. Un moyen de pression habituel qui visait, cette fois, à faire progresser la négociation sur la libéralisation des visas, l’une des promesses faites à M. Erdogan en échange du contrôle par son pays des flux de migrants désireux de se rendre en Europe.
Marie Jégo(Istanbul, correspondante) et Jean-Pierre Stroobants(Bruxelles, bureau européen)