« L’offensive lancée le 18 avril par la Turquie dans les montagnes situées à la frontière avec l’Irak suscite le ralliement habituel de la quasi-totalité des partis politiques turcs mais aussi, plus implicitement, des autorités fédérales du Kurdistan irakien. Certains y voient toutefois une volonté de détourner l’opinion publique de la crise économique aiguë que connaît le pays, rapportent plusieurs médias » rapporte Courrier International du 20 avril 2022.
La Turquie a lancé, le lundi 18 avril, une vaste opération militaire dans la région montagneuse du nord de l’Irak, contre la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). L’offensive, qui a commencé par une vague de bombardements aériens, se poursuit désormais au sol, le but de l’armée étant non seulement de faire reculer les combattants du PKK, mais aussi de s’emparer durablement de ces zones, souligne le quotidien islamo-nationaliste Yeni Safak.
“Auparavant, nous nous contentions de frapper les montagnes puis nous nous retirions, mais désormais la stratégie est fondée sur l’implantation de casernes dans ces zones, afin d’empêcher le PKK de franchir la frontière.”
Le gouvernement de Bagdad a critiqué cette intervention militaire à l’intérieur de ses frontières, rapporte Cumhuriyet, déplorant “une violation des traités internationaux et de la souveraineté irakienne”.
Comme le souligne le quotidien économique turc Dünya, cette offensive bénéficie du soutien du gouvernement régional du Kurdistan irakien, dirigé par le clan Barzani, opposé au PKK – lequel conteste son hégémonie dans la région – mais aussi au gouvernement central de Bagdad.
Pour la famille Barzani, Ankara est un allié d’autant plus précieux que le gouvernement central conteste l’autonomie du Kurdistan irakien concernant l’exploitation du gaz et du pétrole et la vente de ces ressources à la Turquie.
Le 15 février, la Cour suprême irakienne a jugé illégale cette autonomie prise par le gouvernement régional irakien dans le secteur énergétique, alors même que le gouvernement d’Erbil entendait augmenter sa production et espérait pouvoir livrer son gaz et son pétrole à l’Europe, qui cherche de nouvelles sources d’approvisionnement pour s’émanciper de sa dépendance énergétique à l’égard de Moscou.
Politique intérieure
Mais il s’agit aussi, et peut-être même surtout, d’une opération visant à influer sur la politique intérieure du pays en détournant l’attention de l’opinion publique turque de la crise économique, souligne Dünya :
“Le gouvernement présente cette question comme un sujet existentiel, qui prévaut sur la faim et le chômage, et qui constitue donc une occasion de demander ‘plus de patience’ à l’opinion […]. Par ailleurs, cette opération militaire pourrait susciter des dissensions au sein du bloc d’opposition, ce qui profiterait grandement au pouvoir.”
Le Parti démocratique des peuples (HDP), prokurde, a d’ailleurs dénoncé “une opération menée non pas dans l’intérêt du pays mais dans celui du pouvoir, qui n’a aucune solution à apporter à la question kurde et se sert de cette opération pour masquer la réalité de la progression constante de la pauvreté dans le pays”, rapporte le média prokurde Yeni Yasam.
L’armée turque, qui a déploré un premier mort le 19 avril, entend déloger le PKK de ses tunnels creusés dans la montagne, et s’emparer de la région de Zap, avant de progresser vers le massif de Qandil, où se trouvent les principaux chefs et bases de l’organisation.
En février 2021, une opération militaire turque menée dans la région avait fait de nombreux morts des deux côtés, tandis qu’une opération lancée par l’armée turque pour libérer des cadres de son service de renseignement capturés par le PKK en Irak avait échoué, causant la mort des prisonniers, ce qui avait donné lieu à des critiques nourries de la part de l’opposition.
Courrier International, 20 avril 2022