La Turquie qui pousse ses pions dans le Nord et Israël qui a occupé une nouvelle partie du plateau du Golan menacent l’intégrité du pays.
Méfiants quant à la représentativité du nouveau pouvoir syrien de transition, les Occidentaux se préoccupent aussi des risques de partition de la Syrie, une semaine après la chute de Bachar Al-Assad, renversé par les rebelles islamistes de Hayat Tahrir Al-Cham (HTC). Chefs d’Etat et de gouvernement du G7, réunis en visioconférence, vendredi 13 décembre, se sont inquiétés d’une telle évolution, sous la double pression des combats entre factions locales et de l’intervention de deux voisins de la Syrie : la Turquie, qui pousse ses pions dans le nord du pays, avec l’aide de ses supplétifs syriens, et Israël, qui a occupé une nouvelle partie du plateau du Golan, dans le Sud.
« Nous exhortons toutes les parties à préserver l’intégrité territoriale et l’unité nationale de la Syrie, et respectons son indépendance et sa souveraineté », avaient déjà averti, la veille, les pays du G7. Quant à Antony Blinken, le secrétaire d’Etat américain, de passage en Jordanie jeudi et en Turquie et en Irak vendredi, il a jugé « vraiment important », en référence aux initiatives militaires prises par Israël et par la Turquie, que tous fassent « en sorte de ne pas déclencher de nouveaux conflits ».
Grande gagnante du changement de pouvoir en Syrie, la Turquie est soucieuse de recueillir les fruits d’une décennie de soutien aux rebelles anti-Al-Assad. Jeudi, le chef des renseignements turcs, Ibrahim Kalin, dont les apparitions publiques sont rares, s’est rendu à Damas, où il a rencontré Ahmed Al-Charaa, Abou Mohammed Al-Joulani de son nom de guerre, le chef de HTC et nouvel homme fort de la Syrie. Il s’agit de la première visite d’un responsable étranger dans la capitale syrienne.
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Entouré d’une foule dense et d’un important service de sécurité, M. Kalin est allé prier à la mosquée des Omeyyades. Par ce geste, il réalise le souhait exprimé par le président Recep Tayyip Erdogan en 2012, un an après le début du soulèvement syrien, qui se disait impatient d’aller prier dans ce haut lieu de l’islam sunnite. Chantre de l’islam politique, proche des Frères musulmans, M. Erdogan a soutenu plusieurs partis de cette mouvance au moment des « printemps arabes », en 2011.
Ambassade turque à Damas
Quelques heures après la visite du chef des services turcs, Ankara a annoncé la nomination d’un chargé d’affaires à Damas. L’ambassade turque devait rouvrir samedi 14 décembre, après avoir été fermée depuis 2012. Les relations diplomatiques avaient été rompues au moment où le président Erdogan avait offert son plein soutien aux forces d’opposition syriennes, au point d’entraîner et d’armer certains de leurs combattants.
Lors de sa visite en Turquie, M. Blinken a été reçu par M. Erdogan, puis par son homologue Hakan Fidan. Au cœur de leurs entretiens, le sort des forces kurdes présentes dans le nord et l’est de la Syrie. Le sujet est primordial pour Ankara, qui considère leur présence comme une menace à sa sécurité en raison de leur proximité avec le Parti des travailleurs du Kurdistan, engagé dans une guérilla armée contre l’Etat turc pour établir une autonomie dans le sud-est de la Turquie. Après l’effondrement du régime Al-Assad, les rebelles de l’Armée nationale syrienne soutenus par la Turquie ont chassé militairement les Kurdes de deux villes du nord de la Syrie, Manbij et Tall Rifaat.
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Ankara est ulcéré par le fait que les Etats-Unis se soient alliés aux combattants kurdes syriens pour mener la lutte contre l’organisation Etat islamique, depuis 2014. Résolue à empêcher la création d’une région autonome kurde sur ses marches, la Turquie les a chassés du nord-ouest de la Syrie et envisage de les chasser du nord-est. L’objectif déclaré du numéro un turc est d’élargir la zone tampon gérée par l’armée turque à l’intérieur de la Syrie afin qu’elle s’étende sur toute la longueur de leur frontière commune, de plus de 900 kilomètres.
Israël se prépare « à rester »
Reconnaissant les « intérêts réels » de la Turquie en matière de lutte contre le terrorisme, M. Blinken a insisté sur le fait que les Etats-Unis voulaient éviter de « déclencher toute sorte de conflit supplémentaire à l’intérieur de la Syrie », susceptible de faciliter la réémergence de l’organisation Etat islamique.
Israël, pour sa part, fait l’objet d’une série de mises en garde de la part des Etats-Unis, mais aussi des capitales européennes. Très vite après la fuite pour Moscou de Bachar Al-Assad, les forces de l’Etat hébreu se sont déployées dans la zone tampon avec la Syrie, qui borde la partie du plateau du Golan occupé depuis 1967.
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Le ministre israélien de la défense, Israël Katz, a ordonné vendredi à l’armée de « se préparer à rester » tout l’hiver dans la région, en dépit des critiques émises par l’ONU, qui considère cette intrusion comme une « violation » de l’accord de désengagement signé en 1974 par la Syrie et Israël, après la guerre du Kippour. Depuis la chute du régime syrien, les forces israéliennes ont aussi multiplié les bombardements sur des cibles militaires syriennes, notamment sur des sites liés au programme d’armes chimiques, maintenu dans le plus grand secret par le régime.