A Istanbul les Mères du samedi, un groupe de proches de « disparus en détention » poursuivent leur quête de justice depuis 1000 semaines. Cette lutte a commencé après la disparition de Hasan Ocak, arrêté le 21 mars 1995 à Istanbul et retrouvé sans vie dans une fosse commune, 55 jours plus tard. Pour Maside Ocak, sœur de Hasan, ce combat représente la transformation du désespoir en espoir et recherche active.
Observatoire de la Turquie Contemporaine, le 25 mai 2024
Depuis les années 1980, des centaines de personnes ont disparu en détention en Turquie. Selon la Fondation des droits de l’homme de Turquie, entre 1980 et 2000, 757 personnes ont été portées disparues, avec un pic en 1994, où 299 « disparitions forcées » (terme consacré) ont été enregistrées. Regroupées sous l’égide de l’Association des droits de l’homme, les familles des disparus manifestent depuis des années sur la place Galatasaray à Istanbul. Elles se sont inspirées des Mères de la Place de Mai en Argentine. Elles se rassemblent chaque semaine avec les photos de leurs proches, réclamant de leurs nouvelles avec le slogan « nous les voulons vivants ».
La première manifestation a eu lieu le 27 mai 1995, elle est devenue la plus longue protestation continue de l’histoire de la Turquie. Elles ont été interrompues en mars 1999 suite à la répression policière. Les familles ont continué à chercher à connaître le sort de leurs proches et à obtenir justice pour les responsables des disparitions.
En 2009, des changements politiques ont permis la réouverture d’enquêtes sur les violations des droits de l’homme commises dans les années 1990. Cela a conduit à des procès contre des militaires. Cependant les récentes décisions, comme celle de l’acquittement dans l’affaire dite de JİTEM de Dargeçit où des enfants et des civils avaient disparus (1995) ont été décevantes pour les familles. Les témoignages des proches, comme celui de Hazni Doğan, qui a retrouvé les ossements de son frère après 18 ans, illustrent les souffrances endurées et la lenteur de la justice.
Malgré ces obstacles, les Mères du samedi ont continué leur lutte. En 2011, elles ont rencontré le Premier ministre de l’époque, Recep Tayyip Erdoğan, qui a promis des enquêtes approfondies. Cependant, ces promesses n’ont pas été tenues, et en 2018, lors de leur 700ème semaine de manifestation, elles ont de nouveau fait face à une répression violente. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Süleyman Soylu, a justifié cette répression en accusant le groupe de manipuler la douleur des mères à des fins terroristes.
Les rapports de la commission parlementaire sur les disparitions forcées ont été ignorés, et les procès ont souvent abouti à des acquittements. En 2023, les Mères du Samedi ont obtenu l’autorisation de manifester en petits groupes, mais les restrictions et les arrestations ont continué.
Ce samedi 25 mai, à l’occasion de la 1000ème semaine de ces manifestations, les Mères seront à nouveau sur la place Galatasaray. Participeront à leur manifestation de nombreuses figures politiques, dont Özgür Özel, le président du CHP, le principal parti d’opposition qui a affirmé « nous serons là, à leurs côtés ».