« Selon plusieurs médias israéliens, les médiations israélienne et turque lancées cette semaine n’ont aucune chance, car Vladimir Poutine ne serait prêt à négocier qu’après avoir engrangé des gains territoriaux. Pour autant, l’initiative du Premier ministre d’Israël, Naftali Bennett, n’est pas inutile » commente Courrier International.
Samedi 5 mars, en vertu de circonstances exceptionnelles, le Premier ministre israélien, Naftali Bennett – un nationaliste religieux –, rompait avec l’interdit orthodoxe de toute activité un jour de shabbat et se lançait dans plusieurs déplacements. À Moscou pour s’entretenir avec le président russe Vladimir Poutine, puis à Berlin pour rencontrer le chancelier Olaf Scholz, ensuite à Bruxelles pour dialoguer avec Charles Michel, le chef de la diplomatie européenne, sans oublier des échanges téléphoniques avec le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.
Globalement, la presse israélienne n’a accordé aucune importance particulière à cette médiation initiée par un Premier ministre coincé par les ailes de droite, du centre et de gauche de son gouvernement hétéroclite. Dans Ha’Aretz, Alon Pinkas est le plus cinglant :
« Les offres de médiation de la Turquie et d’Israël sont une illusion vouée à l’échec. Malgré (ou à cause de) une progression militaire plus lente que prévu, ce n’est pas maintenant que la Russie va négocier quoi que ce soit”.
La Russie ne négociera qu’avec les États-Unis
Pour Pinkas, les propos de Poutine, répétés depuis une décennie, doivent être pris pour argent comptant.
“Il ne cesse de répéter qu’il ne reconnaît pas l’Ukraine comme État indépendant et sujet de droit international. Au nom de quoi accepterait-il de négocier avec une Ukraine qui n’existe pas à ses yeux ? Il est allé trop loin dans son discours pour tout à coup faire machine arrière”.
Par ailleurs, toujours selon Alon Pinkas, les Turcs et les Israéliens sont tellement dépendants du bon vouloir russe sur des enjeux stratégiques majeurs au Moyen-Orient et en Méditerranée qu’ils ne sont pas en mesure de ramener Poutine un tant soit peu à la raison :
C’est uniquement avec Washington et/ou l’OTAN que la Russie acceptera, peut-être, de négocier, dans quelques semaines ou dans quelques mois. Et, si négociations il y a, cela se fera immanquablement sur le dos d’une certaine idée d’une Ukraine indépendante. Et l’Ukraine n’aura d’autre choix que d’accepter. Israël serait bien inspiré de se dégager au plus vite.”
Transmettre des renseignements aux Occidentaux
Une voix se distingue dans ce concert israélien, celle du chroniqueur de Maariv, Ben Caspit. Selon lui, la “mission” de Bennett n’avait que deux objectifs.
D’une part et à usage interne, faire le maximum pour éviter des violences entre Juifs israéliens d’origines russe et ukrainienne ; d’autre part et à usage externe, pallier la disparition des contacts physiques entre Occidentaux et Russes, et donc “tâter le pouls” d’un Poutine inaccessible aux Occidentaux pour transmettre à ces derniers des renseignements “quant à son humeur et son language corporel”.
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Sur ce terrain, conclut Ben Caspit, Naftali Bennett a pu compter sur son ministre russophone du Logement, Ze’ev Elkin. Né Vladimir Borisovitch Elkin dans la ville d’Ukraine de Kharkiv, russophone et aujourd’hui assiégée, il est en effet “rompu depuis une décennie aux rencontres menées en langue russe entre Moscou et Jérusalem”.
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Courrier International, 9 mars 2022