La visite du ministre turc des Affaires étrangères, vendredi à Washington, marque un rapprochement entre les Etats-Unis et la Turquie. Mais, dans le même temps, Ankara continue de ménager Moscou.
Les Echos, le 11 mars 2024 par Killian Cogan
A peine quelques jours après avoir rencontré son homologue russe Sergueï Lavrov en marge du Forum diplomatique d’Antalya qui s’est tenue du 1er au 3 mars, c’est à Washington que s’est rendu vendredi dernier le ministre turc des Affaires étrangères Hakan Fidan. « Les Etats-Unis et la Turquie sont des alliés cruciaux et très proches en ces temps de crise », a déclaré le secrétaire d’Etat américain à l’issue de sa rencontre avec Hakan Fidan.
Cette visite intervient dans un contexte de rapprochement entre Washington et Ankara, à la suite de plusieurs années de tensions plus ou moins marquées. Après plus d’un an et demi d’atermoiements, la Turquie a enfin permis à la Suède d’accéder à l’Otan en janvier dernier.
En échange de cette adhésion, la Turquie a obtenu des Etats-Unis une levée des sanctions militaires mises en place en 2019 après qu’elle a déclaré son intention d’acheter le système antimissile russe S-400. Depuis, à la demande de l’administration Biden fin janvier, le congrès américain a autorisé la vente de quarante avions de chasse F-16 et 79 kits de modernisation pour la flotte turque.
Zelensky à Istanbul
Mais dans le même temps, Ankara continue de ménager sa relation avec Moscou en tentant de tourner le contexte de la guerre en Ukraine à son avantage. Le même jour, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est rendu à Istanbul afin d’y rencontrer Recep Tayyip Erdogan et de renforcer la coopération turco-ukrainienne en matière de défense. Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, la Turquie a vendu ses drones Bayraktar TB2 à Kiev.
Elle a aussi tenté de se poser en médiatrice du conflit, et a supervisé l’accord céréalier entre Kiev et Moscou en juillet 2022, qui a permis à l’Ukraine de continuer à exporter ses céréales malgré la guerre. Jusqu’à ce que la Russie se retire de l’accord, en juillet 2023.
En parallèle, la Turquie a tiré profit du régime des sanctions contre Moscou en se muant en plateforme de transit pour la réexportation de biens occidentaux vers la Russie et pour le gaz russe vers l’Europe.
Des terrains d’entente
Mais si la valeur des exportations turques vers la Russie a augmenté de 83,3 % entre 2021 et 2023, elles ont toutefois chuté de près de 40 % au cours des deux premiers mois de cette année par rapport à l’an dernier. Cette baisse est le résultat d’un décret signé par Joe Biden en décembre qui prévoit de punir les institutions financières accusées d’aider la Russie à contourner les sanctions.
« Après des années de tensions, les Etats-Unis et la Turquie cherchent désormais à tourner la page et veulent trouver des terrains d’entente » analyse Gönül Tol, une politiste affiliée au think tank Middle East Institute de Washington.
« L’administration Biden part du principe qu’Ankara ne va pas coopérer pleinement avec les sanctions décidées par le bloc occidental, tout en s’attendant à ce qu’elle ne fournisse pas non plus une bouée de sauvetage économique à Poutine. Mais la Turquie ne renoncera pas à son jeu d’équilibriste pour autant. Alors qu’en mer Noire, par exemple, elle se rangera plus du côté des Occidentaux, en Syrie, elle poursuivra sa coopération avec Moscou », estime-t-elle.