Le Château de La BREDE, près de Bordeaux, fut la demeure du philosophe Montesquieu. Né en 1689, il y passa toute sa vie à l’exception de l’année où il séjourna à Londres. C’est là qu’il a rédigé toute son oeuvre et se distingua comme l’un des penseurs de l’organisation politique et sociale sur lesquels les sociétés modernes et politiquement libérales s’appuient. Son approche concernant la séparation des pouvoirs a contribué à en définir le principe.
La mairie de la ville de LA BREDE et le Château organisent depuis cinq ans les « Journées de la Brède ». Cette année la 5e édition s’est déroulée du 13 au 15 septembre 2024 avec pour thème central l’Egalité. Des personnalités de premier plan, professeurs d’université réputés, philosophes, historiens, journalistes et auteurs ont échangé leurs réflexions sur ce thème.
Les tables rondes étaient animées par des éditorialistes du journal Sud-Ouest.
Une des nombreuses tables rondes fut consacrée au regard géopolitique et questionna l’égalité comme idéal démocratique en péril. Ont tenté d’y répondre Béatrice Giblin-Delvallet, Professeure honoraire à l’Institut Français de Géopolitique (IFG) Université Paris 8, directrice de la revue Hérodote, Leïla Oulkebous, Doctorante et chargée d’enseignement ATER en Géographie à La Rochelle Université et Nora Seni, Professeure émérite des universités, Institut français de géopolitique (IFG), Université Paris 8, directrice de l’Institut français d’études anatoliennes (IFEA) de 2008 à 2012, directrice de l’Observatoire de la Turquie contemporaine.
L’Observatoire de la Turquie contemporaine présente ici une synthèse de leurs propos.
Béatrice Giblin: « L’égalité politique est un principe central de la démocratie qui n’a jamais été réellement atteint. La démocratie électorale étant loin de couvrir tout le champ possible de la démocratie et le droit de vote n’est pas pleinement exercé par l’ensemble des citoyens (abstention chez les jeunes et les moins diplômés) Plus préoccupant encore ce principe central de la démocratie est actuellement menacé puisque le régime démocratieque est lui-même fortement menacé dans un grand nombre de pays où le nationalisme -populisme prend le dessus sur le débat démocratique contradictoire entre adversaires politiques désormais perçus comme des ennemis. Cette situation résulte de la polarisation des sociétés vers les extrêmes droite et gauche réduisant le champ de la tolérance et du compromis indispensables à la recherche du bien commun.«
« Dans les conflits actuels il est évident que l’égalité politique est bafouée : la Russie ne respecte pas le territoire d’un Etat souverain et indépendant, quant au conflit entr Israël et Gaza il n’y a assurément pas égalité politique, car il ne s’agit pas de deux Etats souverains, le Hamas étant un mouvement dissident de l’autorité palestinienne et Israël un Etat souverain reconnu à l’ONU. Sur le plan du droit international, Israël a le droit de riposter à l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 sur son territoire par la branche militaire du Hamas, ce qui ne signifie pas qu’est approuvée la stratégie du gouvernement israélien qui consiste à détruire le Hamas et sa force militaire au prix de dizaines de milliers de morts civils gazaouis et de la destruction presque totale de Gaza. »
Leïla Oulkebous a abordé la question de l’égalité politique
par le prisme des ressources en eau, de leur répartition et de leur
accessibilité. « L’eau n’est évidemment pas qu’une ressource et il ne
faudrait pas la réduire à cela, elle donne toutefois lieu à des logiques
de contrôle, d’appropriation et de mise en valeur dans une optique
marchande.
Penser l’égalité à partir de l’eau amène plutôt à analyser les grandes
inégalités qui caractérisent sa répartition géographique et les
capacités, des États comme des individus, d’y avoir un accès pérenne et
de bonne qualité. En tenant compte des données démographiques,
climatiques etc. À une échelle globale, on peut opposer les géants
hydriques (tels que la Chine, les États-Unis, le Brésil ou encore le
Canada) aux pays moins dotées en eau, que l’on retrouve majoritairement
le long de la diagonale de la soif qui s’étend du Maghreb à l’Asie
centrale.
Au-delà de ces considérations géographiques, l’eau est au cœur de
rapports de force complexes, tout particulièrement à l’échelle de cours
d’eau transfrontaliers. Pour analyser ces rapports de force, la grille
de l’hydro- hégémonie (théorisée par Zeitoun et Warner) constitue un
outil très utile et permet de rendre compte de la capacité pour un État
d’exercer sa domination sur un cours d’eau à travers la mise en place de
stratégies de contrôle de la ressource hydrique, notamment un barrage ou
un canal de dérivation.
Dans le cadre de cette table ronde, la question de l’égalité face à la
couverture médiatique de certains conflits a également été abordée. Il
apparaît nettement que l’intérêt médiatique français varie
considérablement en fonction de la proximité géographique mais également
des intérêts stratégiques en jeu. À titre d’exemple, le conflit au
Proche-Orient occupe une place centrale dans le champ médiatique, de
même que la guerre opposant l’Ukraine à la Russie, au détriment d’autres
guerres, non moins meurtrières comme celle qui fait rage au Soudan, ou
encore en République Démocratique du Congo et au Yémen. Cela interroge
la portée universaliste de l’idéal démocratique qu’est l’égalité, ainsi
que le rôle très important du pouvoir médiatique dans ce qu’il donne à
voir et à comprendre du monde.
Pour tendre vers plus d’égalité politique, une démocratie véritable doit
pouvoir reposer sur un pilier informationnel neutre, rigoureux et
indépendant. Cela semble toutefois sérieusement menacé notamment par le
développement très rapide des réseaux sociaux dont le fonctionnement des
algorithmes demeure flou, la concentration des médias aux mains de
quelques milliardaires, et plus récemment l’émergence inéluctable des
intelligences artificielles qui offrent de nombreuses possibilités de
détournement de la réalité. »
Pour Nora Seni parler d’égalité politique au sujet de la Turquie sonne comme un oxymore. « La dégradation de la situation politique, la soumission du juridique et des ses grandes institutions comme le Haut conseil constitutionnel à la volonté du chef de l’Etat font que la question de la Justice mobilise bien plus la société turque que les inégalités. Les thèmes des revendications des partis d’opposition, des médias, des universitaires portent sur l’exigence de justice, de respect des droits. Les dénis de justice comme celui qui maintient en prison depuis sept ans le philanthrope de gauche Osman Kavala condamné à vie pour des délits cousus de fil blanc paralysent la société.
Peut-on parler d’égalité dans un régime où le chef de l’Etat a érigé la polarisation de la société en système de gouvernance. Il a fabriqué du « nous » et du « eux », le eux désignant tour à tour les usagers des lieux récréatifs, bistrots, restaurants, tavernes où hommes et femmes se tiennent ensemble, des lieux où on consomme de l’alcool, des intellectuels, les Kurdes, les non-musulmans, les Alévis… L’islamisation par le bas de la société s’est accompagnée d’une position anti-occidentale des gouvernements qui se sont succédés depuis 2002 et s’est affirmée depuis.
Peut-on parler d’égalité dans une société qui se délaïcise?
Peut-on parler d’égalité au sein d’un régime qui porte atteinte aux libertés fondamentales, notamment à la liberté d’expression: médias, organes de presse passés sous l’autorité des proches du chef de l’Etat, fermeture de journaux, journalistes, universitaires persécutés.
Les femmes en Turquie constituent la seule force qui se mobilise pour l’égalité.
L’Observatoire de la Turquie contemporaine
Voir le programme complet sur le site de la Ville de La Brède